Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

Néanmoins, les
policiers en charge de l’affaire souhaitent vous rencontrer pour vous poser
quelques questions.
    « Ils peuvent
attendre longtemps », songea Cassandra.
    –  Mais
bien sûr, dit-elle d’un ton affable, je suis à leur entière disposition, même
si je crains ne guère pouvoir leur être utile. J’ignore complètement où se
trouve ma pauvre sœur à l’heure actuelle.
    Ce qui lui donnait des
sueurs froides.
    Une
fois son laïus achevé et que Cassandra n’eut plus de questions, le directeur la
raccompagna à l’entrée de l’asile. Derrière les fenêtres grillagées aux vitres
tachées par la pluie s’étendaient des champs grisâtres que recouvrait une légère
brume, tandis que le ciel chargé s’obscurcissait à vue d’œil. Il n’était que
onze heures du matin, mais on eût dit que la nuit s’apprêtait à tomber.
    Au
détour d’un couloir, Cassandra aperçut au loin un homme imposant, large
d’épaules, au visage énergique encadré de cheveux bruns coupés courts et aux
yeux charbonneux, qui discutait avec un médecin. Leurs regards se croisèrent.
L’inconnu la fixa plus longtemps que nécessaire et la jeune femme, irritée sans
savoir pourquoi, lui tourna ostensiblement le dos pour poursuivre sa
conversation avec le directeur.
    –  Angelia
est dangereuse pour elle-même comme pour les autres, il faut absolument la
retrouver au plus vite, le pressa-t-elle.
    –  Nous y comptons bien,
acquiesça le directeur.
    Arrivé
devant la porte principale, il la salua avant de la quitter pour regagner son
bureau. Cassandra allait sortir quand elle sentit un regard peser sur elle.
Elle se retourna brusquement. Debout au milieu du couloir, un minuscule
vieillard au crâne rose et luisant l’observait d’un air interloqué par-dessus
ses lunettes en demi-lune. Le trouble inscrit sur son visage parcheminé
inquiéta Cassandra.
    –  À
qui ai-je l’honneur ? s’enquit-elle d’une voix claire et forte qui résonna
dans le couloir désert.
    Le son de sa voix
arracha le petit homme à sa fascination.
    –  Mon
nom est Henry Barrett, chevrota-t-il, encore sous le coup d’une violente
émotion. Docteur Henry Barrett. Je travaillais ici autrefois, précisa-t-il
comme pour justifier sa présence en ces lieux. J’ai appris ce qui était arrivé
et je suis venu proposer mon aide.
    Cassandra
le jaugea avec curiosité. Ce vieillard effaré, un médecin ? Elle l’aurait
plus volontiers confondu avec un patient de l’asile si elle n’avait eu la
certitude que l’établissement n’accueillait que des femmes.
    –  Pourquoi
me dévisagiez-vous ainsi ? l’interrogea-t-elle sans détour.
    Le
petit homme battit des paupières et son doux regard se voila une seconde.
    –  Veuillez
pardonner ma grossièreté, balbutia-t-il, rouge de confusion. J’ai cru reconnaître
en vous une ancienne connaissance.
    Mais
asseyons-nous, ajouta-t-il en lui indiquant un banc de bois placé sous l’une
des fenêtres, nous serons mieux pour parler.
    Le
banc émit un horrible craquement lorsqu’il s’y laissa tomber. Cassandra réprima
un soupir d’ennui, peu désireuse d’écouter le vieillard débiter des souvenirs
poussiéreux. Cependant, son expression bouleversée l’intriguait, et elle vint
s’asseoir prudemment à ses côtés.
    –  Vous
me rappelez une de mes patientes, sourit le médecin en lui jetant un coup d’œil
timide. Votre ressemblance avec elle est sidérante. Je pourrais croire me
trouver en face de sa sœur jumelle…
    Le
cœur de Cassandra se mit à battre plus vite, et elle se raidit légèrement sur
son siège. Après le tableau ramené de Florence par Julian, être de nouveau
confrontée à l’existence d’un sosie était pour le moins saisissant.
    – …
Ce qui n’est bien sûr pas le cas, s’empressa d’ajouter Barrett, puisque j’ai
rencontré la femme dont je vous parle il y a plus de vingt ans, et qu’elle
devait avoir à peu près votre âge à l’époque…
    –  Comment
s’appelait-elle ? murmura Cassandra, la gorge sèche.
    Le petit homme hésita,
puis lâcha comme à contrecœur :
    –  Sarah… Sarah Ellison…
    –  Sarah
Ellison, répéta lentement Cassandra. Ce nom ne m’évoque rien…
    –  Je
suppose que le secret n’a plus lieu d’être après tout ce temps, chuchota le
médecin en jetant des regards furtifs autour de lui comme s’il craignait que
ses propos ne tombent dans une oreille indiscrète. Quelle importance, à
présent ?