Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
une boue nauséabonde qui
maculait robes et bottines, malgré les efforts d’une armée de cantonniers et de
balayeurs pour nettoyer les rues. Megan fit quelques pas laborieux, à la
recherche d’un hansom cab. En cette fin d’après-midi, un vacarme effroyable
régnait dans la rue, un grondement assourdissant et continu que martelait le
passage sur les pavés de granit des chariots avec leurs roues cerclées de fer.
Une foule compacte grouillait sur les trottoirs, et un monstrueux embouteillage,
enchevêtrement inextricable de chevaux et de véhicules de toutes sortes,
s’était formé dans Fleet Street en direction de Ludgate Hill et de la
cathédrale Saint-Paul. Un impressionnant corbillard, tiré par des chevaux
sombres et environné de nuages de plumes noires, passa lentement devant Megan.
Elle le suivit un instant des yeux avant de reprendre sa marche vers le Strand.
Elle
arrivait devant l’arche de Temple Bar quand elle se figea soudain, la nuque
parcourue de picotements. Comme souvent au cours des dernières semaines, elle
sentait un regard peser sur elle. Était-ce l’homme du réverbère qui la guettait
dans Baker Street ? Durant quelques secondes, sous l’effet conjugué de
l’angoisse et de la multitude, elle eut du mal à respirer. Elle tourna sur
elle-même, détailla chaque passant, mais ne vit rien d’inhabituel. Elle s’en
voulut de se montrer si poltronne ; l’évasion d’Angelia l’avait ébranlée
plus qu’elle ne le supposait.
Elle
continua à avancer à travers la cohue, sur le qui-vive, jusqu’à ce qu’enfin
elle puisse héler un cab. À l’inverse de ce qu’elle avait affirmé à Jeremy, il
n’était pas dans ses intentions de rentrer immédiatement chez elle.
Megan
jeta un dernier coup d’œil inquiet à la foule et monta dans le véhicule.
– Au
19 Langham Place, lança-t-elle au cocher en refermant la portière.
*
Au
même moment, Clayton Blake, trempé jusqu’aux os et les chaussures boueuses à
force d’arpenter la ville, poussait la porte de Scotland Yard, le siège des
autorités centrales de la police métropolitaine, situé au 4 Whitehall Place.
Le constable assis à la réception s’empressa de se lever à son entrée.
– Bonjour,
Mr. Blake.
– Bonjour,
Albert. Le
commissaire est-il là ?
– À l’étage, inspecteur.
À
l’instar de la plupart des gens, le constable s’adressait à
lui avec un mélange de respect et de crainte. Clayton était habitué à cette
réaction. Avec sa silhouette massive et son regard sombre et habité, on le
jugeait au mieux intimidant.
Clayton
gravit rapidement les marches jusqu’au premier étage. Il croisa en montant un
autre inspecteur en civil, dévolu comme lui aux enquêtes criminelles, et ils se
saluèrent d’un hochement de tête.
Le
bureau de son supérieur était le plus éloigné de l’escalier. Il frappa et entra
sans attendre de réponse.
Le
visage congestionné, le commissaire Lamb arpentait la pièce en agitant une
feuille de papier.
– Une
lettre d’en haut, annonça-t-il sans préambule d’une voix flûtée en apercevant
Clayton. Nous sommes taxés de laxisme et d’incompétence, menacés des pires
sanctions !
Le
petit homme fulminait. Il se pencha vers son bureau encombré de dossiers et
s’empara d’un journal qu’il brandit en direction de Clayton.
– Et quand ce n’est pas le
ministre ou le Parlement qui nous harcèle, c’est la presse qui prend le relais
en criant vengeance. « Que fait la police ? » s’interroge le Standard dans son édition d’aujourd’hui. Oui, c’est une très bonne question, que fait la
police ? répéta le commissaire en fixant son subordonné dans les yeux
(tâche difficile dans la mesure où son nez arrivait à peu près à hauteur du
ventre de l’inspecteur). Cela ne peut continuer ainsi. Vous êtes un enquêteur
hors pair, Clayton, donnez-moi quelque chose !
Lamb
se tut, hors d’haleine. Pendant un instant, on n’entendit plus que le
chuintement des lampes à gaz sur les murs.
– J’ai
peut-être un début de piste, annonça Clayton à présent qu’il pouvait enfin
placer un mot.
Le
visage de Lamb s’éclaira comme si on venait de lui révéler le secret des
origines de l’univers.
– Vraiment mon
petit ? De quoi s’agit-il ?
Clayton
se contenta de sortir les deux daguerréotypes de sa serviette et de les poser
sur le bureau de son supérieur.
Lamb enfila ses lunettes
et se pencha pour les
Weitere Kostenlose Bücher