Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

firent
entendre dans le grand escalier.
    On
frappa légèrement à la porte, ce qui redoubla son anxiété. Les domestiques
avaient ordre de ne la déranger sous aucun prétexte lorsqu’elle se trouvait
confinée dans sa chambre, sujette à l’une de ses crises. Un événement grave
avait dû se produire pour que l’interdit soit transgressé.
    Le
battant pivota et la mince silhouette de Godric s’encadra dans l’embrasure
lumineuse de la porte.
    –  Milady… souffla-t-il,
encore plus pâle que d’habitude.
    Elle ne lui laissa pas
le temps d’achever sa phrase.
    –  Godric, qu’est-il arrivé
à mon époux ?
    –  Lord
Westbury a fait un malaise, annonça l’adolescent d’un ton prudent. Il a perdu
connaissance dans le salon.
    –  Est-ce grave ?
    –  Nous l’ignorons. John
est parti chercher le médecin.
    Wilhelmina s’était
assise au bord du lit et lissait ses jupes de la main.
    –  Il
n’était pas seul, dit-elle calmement. Qui était cette femme qui lui rendait
visite ?
    Godric secoua la tête.
    –  Je
n’ai pas saisi son nom, Milady, mais elle voulait s’entretenir avec lui d’une
certaine Sarah Ellison.
    Wilhelmina
se leva brusquement. Elle était devenue blême, mais la pénombre de la chambre
empêchait Godric de s’en rendre compte.
    –  Sarah
Ellison, répéta-t-elle machinalement, comme si elle ne pouvait y croire. Sarah
Ellison…
    Elle fit quelques pas
dans la pièce en triturant les perles de son corsage. Le malaise de son époux
s’expliquait. Il avait dû éprouver un choc terrible à l’évocation de ce fantôme
tout droit surgi de son passé. Pauvre Rupert… Pour un peu, elle l’aurait
plaint. Évidemment, ce moment devait finir par arriver. Certaines choses ne
pouvaient demeurer éternellement enterrées…
    Elle
se figea au milieu de la pièce, tourna son regard bleu pâle vers Godric qui
attendait patiemment près de la porte.
    –  Eh bien, mon garçon,
amène-moi près de mon époux. Ma place est auprès de lui en ce moment difficile.
    *
    Mettant
aussitôt en pratique sa résolution, Cassandra s’était rendue à la résidence de
lord Rupert Westbury, le père de Julian, sise dans Queen Ann Street. Elle restait
persuadée que lui seul pouvait lui fournir les réponses qu’elle cherchait au
sujet de Sarah Ellison. Cependant, en apercevant l’imposante façade de brique
rouge de la maison et les hautes grilles en fer forgé ouvragé qui en
protégeaient l’accès, elle se sentit soudain ridicule et fut sur le point de
faire demi-tour : qu’allait-elle donc lui dire ? Faire resurgir une
histoire vieille de vingt ans… Même si lord Westbury acceptait de la recevoir,
elle qui lui était complètement inconnue, il ne mettrait pas longtemps à mettre
un terme à la conversation et à lui donner congé. Cassandra soupira, prête à
faire volte-face, quand elle aperçut un somptueux attelage qui stationnait non
loin de la résidence. Sur les portières dorées se déployaient les armoiries désormais
familières : une couronne surmontant un heaume et un blason encadré par
deux lions blancs. Cette vue fit renaître sa résolution. Elle devait suivre son
intuition jusqu’au bout, dût-elle se couvrir de honte.
    Un
majordome stylé l’introduisit dans un vaste hall de marbre. Elle lui tendit sa
carte et annonça qu’elle souhaitait être reçue par son maître pour l’entretenir
d’une de ses amies, Sarah Ellison. En bon serviteur, le majordome ne manifesta
ni surprise ni intérêt, et partit transmettre la commission. Il revint moins
d’une minute plus tard pour guider Cassandra le long d’un couloir lambrissé de
bois blond. Partout étaient suspendus des tableaux aux cadres dorés et la jeune
femme eut le temps de reconnaître au passage un Titien et un Vélasquez, ainsi
que des portraits des rois Charles I er et Georges III. Au spectacle
de ce cadre grandiose, Cassandra se félicita d’avoir momentanément délaissé ses
robes à la coupe simple et confortable pour une élégante toilette de mousseline
bleu clair agrémentée de force dentelles et rubans.
    Le
majordome s’arrêta devant une porte et donna un coup bref sur le battant avant
de l’ouvrir et de s’effacer pour laisser entrer la visiteuse.
    En
redingote noire et pantalon clair, lord Westbury se tenait debout devant l’une
des fenêtres en saillie, le dos tourné à la porte. Cassandra demeura debout,
les mains serrées sur son réticule, attendant que son hôte daigne lui