Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
armoiries de lord Westbury, votre époux…
Le sourire de Wilhelmina
s’accentua.
– Mon époux, oui.
Le
cœur de Cassandra se mit à battre plus fort et elle se pencha en avant, les
mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil.
– Qui était-elle ?
Wilhelmina
se mit à jouer avec le camée qui pendait sur sa poitrine ; la peau
translucide de ses mains laissait apparaître des réseaux de veines bleutées,
aussi fins que des toiles d’araignée. Une longue minute s’écoula ainsi, et
Cassandra crut un instant qu’elle ne lui révélerait rien.
Enfin, Wilhelmina croisa
ses mains décharnées sur ses genoux.
– Sarah
Ellison n’était pas son véritable nom. Elle s’appelait Sophia en réalité. Mon
époux et elle étaient des amis d’enfance. Il a du reste longtemps caressé
l’espoir de l’épouser, mais elle lui a préféré un autre homme… Il est vrai
qu’il était autrement plus séduisant. Au final, ce pauvre Rupert a dû se
contenter de moi, ajouta-t-elle avec un petit rire plein de dérision.
Voyez-vous, je n’ai jamais été que le second choix.
Interdite,
Cassandra ne sut que répondre. Entendre cette femme se confier si librement à
une inconnue la déstabilisait et la choquait tout à la fois. Mais en observant
avec plus d’attention le visage marqué par la souffrance de lady Westbury,
Cassandra prit soudain la mesure de la vie solitaire qu’elle devait mener.
Recluse comme elle l’était par la maladie, elle recevait sans doute peu de
visites.
– Sophia
était une femme excentrique, poursuivait la mère de Julian, mais d’une beauté
rare et d’une vive intelligence. C’est une qualité que mon mari n’apprécie
guère chez les dames en général, mais il faisait une exception pour elle.
De
l’amertume perça dans la voix de Wilhelmina tandis qu’elle prononçait ces
derniers mots.
Cassandra se pencha
encore davantage vers son hôtesse.
– Vous parlez de Sophia au
passé. Serait-elle…
Etreinte
par une émotion subite, elle ne put achever sa phrase. Wilhelmina secoua
doucement la tête.
– Je
ne saurais le dire. Son époux l’a fait sortir de l’asile contre l’avis des
médecins. Ils sont ensuite partis à l’étranger et nul ne sait ce que Sophia est
devenue depuis.
Les
propos de Wilhelmina concordaient avec le récit du docteur Barrett. Cassandra
posa alors la question qui lui brûlait les lèvres :
– Pourquoi est-elle
devenue folle ?
La
question parut emplir toute la pièce, se répercuter contre les murs damassés de
soie beige, voltiger entre les deux femmes. Wilhelmina s’inclina à son tour
vers elle, ses yeux pâles brillant d’un nouvel éclat.
– Sophia avait deux
enfants, deux adorables petites filles…
La gorge de Cassandra se
noua, et durant quelques secondes elle eut du mal à trouver sa respiration.
– Deux petites filles,
répéta-t-elle dans un souffle. Et…
Elle suspendit sa phrase
et Wilhelmina la compléta en vrillant son regard au sien.
– Elles sont mortes.
Assassinées.
*
– Assassinées, fit
lentement Cassandra en écho.
Wilhelmina
se leva pour déplacer de quelques pouces un solide candélabre élisabéthain qui
trônait sur une petite table près de la fenêtre. Puis elle se figea, les yeux
dans le vague, et murmura :
– Elles n’avaient pas cinq
ans…
– Comment
s’appelaient-elles ? interrogea Cassandra, la bouche sèche.
Wilhelmina
allait répondre quand la porte du salon s’ouvrit brusquement, livrant passage
au maître des lieux, très pâle mais visiblement décidé à en découdre.
Lord
Rupert Westbury jeta un regard furieux à sa femme qui semblait s’être
recroquevillée sur elle-même à son entrée.
– Wilhelmina !
Que faites-vous ici ? Regagnez vos appartements sur-le-champ !
L’attitude
de lady Westbury changea alors du tout au tout. Son visage se décomposa et
l’assurance dont elle avait fait montre devant Cassandra parut s’effondrer. La
tête baissée, elle fit docilement un pas vers la porte avant de se raviser et
de suggérer d’une voix timide à son époux :
– Vous devriez rester
couché. Le médecin…
Rupert
la chassa d’un geste impatient de la main, comme il eût fait d’une domestique.
Lady
Westbury n’insista pas. Elle adressa un signe de tête à Cassandra, qui avait
assisté à la scène avec une indignation croissante, et quitta silencieusement
le salon. La pitié submergea Cassandra au spectacle de cette
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