Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
de sa femme et estimait à présent avoir expié ses fautes.
Rupert
le dévisageait en silence, ses yeux aussi durs que des billes de glace.
– Je
comprends, finit-il par déclarer. Jeter l’opprobre sur notre famille ne vous
pose manifestement aucun problème de conscience. Il est vrai que vous l’avez
déjà fait par le passé. Décidément, Julian, vous ne serez jamais pour moi
qu’une source de déceptions.
« Contrairement
à Edward », compléta Julian en son for intérieur, et il lui sembla que le
fantôme de son frère flottait entre eux dans la pièce. Edward, moins brillant
que Julian, certes, mais si attachant, si plein de charme et de joie de vivre,
toujours souriant et pourvu du don de faire rire les autres. Même Rupert
s’adoucissait à son contact. Il n’avait du reste jamais caché sa préférence
pour son fils cadet. Même s’il évitait d’y penser, Julian avait, ancrée en lui,
la certitude que son père aurait préféré le voir mort à la place d’Edward. S’il
avait pu, il l’aurait sans doute déshérité immédiatement, mais Julian était son
seul héritier ; quels que fussent ses griefs à l’encontre de son fils
aîné, Rupert ne laisserait pas les titres et le patrimoine de la famille tomber
entre des mains étrangères.
– Vous
êtes injuste, parvint à articuler Julian d’une voix consumée par la tension.
– Et
vous un misérable égoïste ! s’emporta Rupert qui se leva d’un bond,
frappant du poing la table de noyer ; les couvercles du double encrier de
cuivre tressautèrent en émettant un son métallique. Je vous interdis de traîner
notre nom dans la boue ! Entendez-vous, Julian, je vous l’interdis !
À
cet instant, une bûche se brisa dans l’âtre, faisant jaillir une gerbe
d’étincelles. Blême de rage, Rupert fixait son fils, son regard impérieux
s’arc-boutant contre le sien, mais Julian s’était promis de ne pas baisser les
yeux devant lui et il tint bon.
Voyant
qu’il ne parvenait pas à l’intimider, Rupert se redressa de toute sa taille et
croisa ses mains dans son dos.
– J’ai
longuement réfléchi au problème et en suis arrivé à la seule conclusion
possible.
Il fit une pause, et
Julian retint son souffle.
– Vous
pouvez encore laver notre honneur en vous remariant. Et cette fois-ci, il vous
faudra choisir une épouse décente, et non une danseuse de bas étage acoquinée
avec nos ennemis. Justement, la fille cadette de mon vieil ami lord Greystone…
Julian
réprima à grand-peine un soupir d’exaspération. Et voilà, ils y étaient. Depuis
son divorce, il devait endurer les pressions récurrentes de son père, qui
voulait à toute force qu’il prenne une nouvelle femme. Or un remariage,
justement, Julian n’y tenait pas du tout.
Rupert
dut percevoir sa réticence, car il assena d’un ton coupant :
– Continuez
à vous vautrer dans la luxure avec ce garçon si vous le souhaitez, mais de
grâce sauvez les apparences. Pensez à notre réputation ! Je vous rappelle
en outre que vous n’avez pas encore rempli vos obligations envers notre famille
puisque vous n’avez pas engendré d’héritier mâle. Une fille ne permet pas
d’assurer la succession. Et encore, si Laura est bien votre fille…
Julian
vacilla sous la violence du coup. Perdant patience à son tour, il fit un pas
vers le bureau.
– Laura
est ma fille ! gronda-t-il. Comment osez-vous en douter ?
– J’admire
votre confiance, rétorqua froidement Rupert, mais permettez-moi de ne pas la
partager. Je n’ai pour ma part aucune certitude quant à l’appartenance de Laura
à notre sang.
Une
sensation de brûlure intolérable se répandit dans le corps de Julian. Soudain,
il fut pressé de s’en aller, pressé de ne plus voir le visage honni de son
père.
– Je
ne me remarierai pas, et je ne renoncerai pas à Gabriel, déclara-t-il
fermement.
– Dans
ce cas, la discussion est close, cingla Rupert en se rasseyant à sa table. Vous
pouvez disposer, Julian, mais réfléchissez à ce que je viens de vous dire. S’il
n’est pas complètement moribond, votre sens de l’honneur vous incitera
peut-être à prendre la bonne décision.
Trois
mois plus tard, bien sûr, tout avait changé, et Julian enrageait à l’idée
qu’une fois encore, son père avait gagné.
Mais
aujourd’hui, ce n’était pas lui qu’il venait voir ; il était trop écœuré,
trop affligé, pour souhaiter une nouvelle confrontation. Lord Westbury
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