Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
dînant
toujours à son club, Julian savait qu’il ne risquait pas de le rencontrer à
cette heure. Il n’avait pas choisi le moment de sa visite au hasard.
Un
majordome en culotte et bas de soie, le chef couvert d’une perruque poudrée,
lui ouvrit et le mena au boudoir de sa mère. Assise près de la fenêtre, lady
Wilhelmina Westbury était absorbée dans un ouvrage de broderie. À l’entrée de
son fils, elle leva la tête et un mince sourire anima son visage d’une pâleur
mortuaire. Julian se pencha vers elle pour l’embrasser, le cœur serré de la
découvrir encore plus frêle et maladive que dans son souvenir. Il ne se
rappelait pas avoir jamais vu sa mère en bonne santé, mais il semblait que son
état s’était encore dégradé au cours des derniers mois.
Debout derrière le
fauteuil se tenait un jeune garçon, aussi immobile et sévère qu’une sentinelle.
Godric était le fils de la défunte femme de chambre de Wilhelmina. Celle-ci avait
été fort attachée à sa domestique, aussi avait-elle souhaité garder son enfant
près d’elle lorsqu’elle avait été emportée par une mauvaise fièvre. Julian
soupçonnait que Godric s’était substitué à Edward dans le cœur de sa mère. Le
chagrin de Wilhelmina avait été si grand qu’elle n’avait trouvé que ce moyen
pour surmonter la disparition de son fils adoré.
Malgré ses boucles
blondes et sa peau d’une blancheur nacrée, Godric n’avait rien d’un chérubin.
Il avait douze ans mais en paraissait quinze, arborait constamment une
expression grave bien au-dessus de son âge, et possédait des yeux d’un bleu
très clair mais aussi froid que de l’acier. La fixité de son regard mettait
toujours Julian mal à l’aise, même s’il ne se l’avouait qu’à demi. La présence
de Godric à ses côtés était bénéfique à sa mère – même Rupert n’avait pas osé
l’écarter alors qu’il jugeait inconvenante la présence continue auprès de son
épouse du fils d’une domestique –, et Julian s’en voulait de ne pas ressentir
d’affection pour l’enfant.
– Ainsi, vous êtes à
Londres, observa Wilhelmina dans un murmure. Je suppose que Laura a fait le
voyage avec vous ?
– En effet, je vous
l’amènerai demain. Mais je viens aujourd’hui vous trouver pour une raison
particulière.
– Quelle est-elle ?
s’enquit Wilhelmina d’un ton dénué de la moindre curiosité.
Julian hésita, ne
sachant comment exposer sa requête. Il n’avait pas l’intention de lui parler
d’Aerith. L’évoquer n’aurait fait qu’aviver d’anciennes blessures, et Julian
tenait à ménager sa mère. Il résolut de lui en révéler le moins possible.
– Je souhaiterais que vous
me confiiez provisoirement un de vos tableaux, L’Homme au turban rouge de
Van Eyck.
Une lueur traversa le
pâle regard de Wilhelmina, qui se pencha légèrement en avant.
– C’est
une œuvre qui m’est très précieuse, commenta-t-elle d’une voix lente. Vous
savez que je la tiens de ma mère, qui elle-même la tenait de la sienne. Que
comptez-vous en faire ?
– Il
y a un point que je dois vérifier, je suis désolé de ne pouvoir vous en dire
davantage. Je vous demande juste de me faire confiance.
– Vous faire confiance…
Wilhelmina
le considéra un long moment, un moment qui parut interminable à Julian, avant
de lever une main amaigrie.
– Godric ?
À
ce signal, le jeune garçon disparut dans la chambre à côté et revint peu après
avec le tableau.
– Merci, fit simplement
Julian.
– Prenez-en grand soin.
– Je vous le ramènerai dès
que possible.
Wilhelmina
acquiesça, puis les traits de son visage parurent se figer.
– Cela
va bientôt faire huit ans que votre frère est mort… Julian tressaillit, et son
regard tomba sur la robe de deuil de sa mère. Depuis la disparition d’Edward,
elle était toujours vêtue de noir.
– Je sais, souffla-t-il.
Wilhelmina eut un faible
sourire, presque une grimace.
– Au
revoir, Julian, murmura-t-elle, lui signifiant son congé. Julian se leva
lentement, voulut dire quelque chose, mais se ravisa. Lorsqu’il quitta la
pièce, il semblait avoir vieilli de plusieurs années.
XXIV
Très doucement, Megan
poussa la porte vermoulue du grenier. Posée sur une caisse, une petite
veilleuse en fer-blanc abritant une chandelle à mèche de jonc répandait une
clarté diffuse autour d’elle. Dans le coin le plus reculé de la pièce, une
silhouette gisait
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