Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
traversa l’esprit.
Déjà,
Seishiro avait repris les rênes et le fiacre remontait la rue en cahotant.
– Allons
déjeuner, Walter, déclara Angelia, et ensuite j’aurai encore une personne à
rencontrer.
Elle sourit,
s’emmitoufla frileusement dans sa cape.
– En
fait, deux pour être précise, et l’une d’elles risque d’être très étonnée en me
voyant…
*
À
la gare de London Bridge, une foule compacte s’agitait en tous sens à la clarté
ambrée des becs de gaz. Accompagnés de leurs enfants et serviteurs, Julian et Cassandra
s’apprêtaient à prendre le train pour Folkestone, et de là le bateau à vapeur
pour Boulogne, en France.
– Miss
Lennox, allez surveiller le chargement des bagages, je m’occupe d’Andrew, lança
Cassandra à la gouvernante en saisissant la main de son fils.
– Pensez-vous
réellement que nous prenions la bonne décision ? interrogea Julian lorsque
Miss Lennox se fut éloignée.
Cassandra soupira
ostensiblement.
– Nous
n’allons pas encore avoir cette conversation… Vous savez que je refuse
d’impliquer la police dans mes affaires.
Découragé
par son obstination, Julian renonça provisoirement à la faire changer d’avis.
– J’ai vu mon père hier
soir, annonça-t-il après un silence.
Alarmé par la découverte
du dragon, il s’était résolu à aller trouver Rupert et à l’interroger sur la
mission confiée à Aerith.
– Vraiment ? Que vous
a-t-il dit ?
– Comme
toujours, l’entrevue a été courte et manquait singulièrement de chaleur…
C’était
un euphémisme. Rupert étant attendu pour une réception à l’ambassade de Suède,
et paraissant peu désireux de s’entretenir trop longuement avec son fils, la
discussion n’avait duré que quelques minutes et s’était déroulée aussi
fraîchement que celle qui les avait opposés trois mois plus tôt dans ce même
bureau de la résidence de Queen Ann Street. Dès les premières secondes, Rupert
avait coupé court avec son acrimonie coutumière aux reproches de Julian
concernant Aerith. Son fils ne lui inspirait qu’une rancœur teintée de mépris
qu’il ne cherchait pas le moins du monde à dissimuler. Mais, Dieu merci, il
n’avait pas évoqué Gabriel. Julian n’aurait pas supporté de le voir se réjouir
de son malheur.
– Mon
père s’est contenté de me répéter de suivre les instructions d’Aerith, qu’elle
agissait au nom de l’État britannique, expliqua-t-il à Cassandra. Mais il s’est
montré très flou quant aux gravures. En vérité, j’ai eu l’impression qu’il n’en
savait pas plus que nous à leur sujet, et j’ai trouvé cela inquiétant. Quelque
chose m’échappe…
– C’est étrange en effet…
Julian regarda Cassandra
avec insistance.
– Nous
sommes aujourd’hui le neuf octobre. Demain soir, un nouveau meurtre aura lieu…
– En
réunissant les trois gravures d’Isis, peut-être découvrirons-nous qui se cache
derrière la Dame Noire. Je vous promets dans ce cas que vous pourrez avertir la
police.
Julian
ne répondit pas, se bornant à afficher une mine sceptique.
– Oh,
mon Dieu, s’affola soudain Cassandra, où est Andrew ?
Elle
pivota sur elle-même, chercha son fils dans la foule. Ne le vit nulle part.
– Aidez-moi
à le retrouver, enjoignit-elle à Julian d’une voix où perçait un début de
panique.
Sans
attendre sa réponse, elle plongea dans la foule, jetant des regards frénétiques
de tous côtés, criant le nom d’Andrew, bousculant tous ceux, hommes, femmes et
enfants, qui lui barraient la route. Un brouillard d’un brun sale avait envahi
le hall et, mêlé à la vapeur s’échappant des locomotives à quai, flottait sous
les hautes voûtes de la gare, rendant l’éclairage fourni par les becs de gaz
aléatoire. Les murs tendus de noir depuis la mort du prince Albert
contribuaient encore à accroître la pénombre ambiante.
Soudain,
alors qu’elle commençait à désespérer de jamais revoir son fils, Cassandra se
figea avec l’impression que le sol se dissolvait sous ses pieds.
Andrew
était là, à une dizaine de yards devant elle. Agenouillée devant lui, une femme
brune richement vêtue lui caressait le visage d’une main gantée de rouge qui
formait comme une tache de sang sur la peau blanche de l’enfant. Un immense chapeau,
savant assemblage de gaze, de fleurs et de dentelles, dissimulait en partie son
visage. Comme si elle avait senti le regard de Cassandra
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