Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
s’était lui-même enferré.
*
Depuis leur retour de
Windsor, Angelia passait son temps enfermée dans sa chambre, compulsant avidement
les journaux que lui apportait Walter. Les meurtres de la Dame Noire en
particulier semblaient la captiver ; elle ne se lassait pas de lire et
relire les articles qui y étaient consacrés.
Lorsqu’elle n’était pas
plongée dans la presse, Angelia consultait les carnets qu’elle avait retirés de
ses coffres. Le premier étant codé, elle ne prenait aucune précaution pour le
dissimuler aux regards de Walter. En revanche, elle entourait le second de
soins jaloux, le faisant disparaître aussitôt que quelqu’un pénétrait dans la
pièce. Un jour qu’elle était absorbée dans sa lecture, Walter avait eu le temps
d’en entrevoir un extrait avant qu’elle ne le referme. La page qu’il avait
aperçue par-dessus son épaule était couverte de symboles ésotériques et d’un texte
à l’écriture serrée évoquant des « triangles » et des
« sanctuaires ». Sa perplexité n’en avait été qu’accrue.
Un matin gris et froid,
Walter apporta à Angelia la presse du jour, ainsi qu’il le faisait chaque
matin. Tous titraient sur les meurtres de la Dame Noire et le nouvel élément
qui venait de surgir dans l’enquête : une tache de sang à la forme
singulière. La police avait confirmé que le mystérieux motif avait été retrouvé
deux mois de suite sur la scène du crime, au pied de la vierge de fer.
Walter n’eut pas plus
tôt franchi le seuil de la chambre qu’Angelia lui arracha les journaux des
mains et se mit à les parcourir fiévreusement sans plus lui prêter attention.
Il ne s’en formalisa pas, habitué qu’il était désormais aux manières de faire
de la jeune femme. Il s’apprêtait à la laisser seule quand elle le rappela.
– Attendez, lança-t-elle
d’une voix sourde. Dites-moi ce que vous pensez de ces photographies ici
reproduites.
Même s’il serait mort sur
place plutôt que de l’avouer, Walter était flatté qu’Angelia lui demande son
avis. Aussi examina-t-il avec attention le journal qu’elle lui tendait.
– Certains
journalistes émettent l’hypothèse que ce dragon dessiné dans le sang est le
Dragon Rouge du Pays de Galles.
– Ils
font erreur, murmura Angelia, les yeux rivés sur la photographie. C’est une de
ses significations annexes, certes, mais à l’origine ce dragon est Svarog.
– Svarog ?
répéta Walter avec un air de totale incompréhension.
Angelia lui jeta un
regard peu amène.
– Svarog
était le dieu suprême des Slaves dans l’ancien temps, le père du Soleil et du
Feu, le potentat du monde céleste et de tous les êtres humains.
– Je
l’ignorais et ne m’en portais pas plus mal, rétorqua Walter. Et pour dire la vérité,
votre Svarog m’indiffère au plus haut point.
Il
avait prudemment reculé d’un pas en parlant, inquiet de la réaction d’Angelia à
cet accès de bravoure. Chose surprenante toutefois, celle-ci ne se mit pas en
colère, mais continua à scruter le dragon, une étrange lueur dansant dans ses
prunelles.
– Dans
la mythologie slave, poursuivit-elle avec fièvre, Svarog est le Dieu du ciel et
du feu céleste, le forgeron divin, le maître de tous les métiers, le
dispensateur de toutes les richesses. Selon la légende, qui remonte au VIII e siècle avant Jésus-Christ, lorsque les
tribus slaves commencèrent à pratiquer l’agriculture, il apprit aux peuples
primitifs à cultiver la terre et à forger le fer…
Walter
étouffa un bâillement. Peut-être Angelia ne remarquerait-elle pas son absence
s’il s’éclipsait discrètement de la pièce ? Elle paraissait obnubilée par
son stupide dragon.
– Dans
la tradition populaire, Svarog est représenté sous la forme d’un serpent
cracheur de feu ou bien d’un dragon ailé semblable à celui-ci…
Du bout du doigt, elle
suivit le pourtour de la photographie.
– Il
est l’élément central de Triglav, la Sainte Trinité, le père de Dajbog,
représentant le soleil et de Svarogitch, dieu du feu sacré. Il est le dieu de
la lumière céleste, qui illumine la Terre et les hommes. On raconte
qu’aujourd’hui encore les paysans slaves l’appellent parfois sous le nom de
« petit père ».
– Et
vous pensez que c’est Svarog qui est descendu de son repaire céleste pour tuer
ces gens ? ironisa Walter, désireux d’arracher Angelia à son délire.
– Bien
sûr que non.
Weitere Kostenlose Bücher