Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
serait grandement temps que vous trouviez un
époux, vous ne savez plus quoi inventer pour vous distraire.
Megan
allait riposter quand Gabriel leur adressa un signe de la main.
– Regardez, souffla-t-il.
Une
nuée d’enfants entourait la statue, et les éclats de leurs rires et de leurs
cris leur parvenaient à travers les pelouses fraîchement tondues du parc.
– Ce
ne sont que des gamins qui s’amusent, observa Jeremy, déçu.
Mais
Gabriel ne les quittait pas des yeux. Il se leva soudain, le doigt tendu vers
la statue.
– Il a pris le
papier !
– Qui donc ?
s’exclama Jeremy.
– Le garçon avec la veste
bleue.
– Suivons-le alors !
L’enfant
avait abandonné ses camarades pour se mettre à courir vers l’ouest du parc.
Jeremy et Gabriel à ses trousses, il atteignit un bosquet de chênes dans lequel
il disparut. Les deux hommes ne tardèrent pas à le retrouver en compagnie d’un
homme vêtu d’un large manteau lui arrivant aux pieds, et portant un chapeau qui
dissimulait ses traits.
– Hé, vous, cria Jeremy en
l’apercevant, restez où vous êtes !
Il
fonça dans sa direction, mais l’homme se redressa subitement, une solide
branche à la main, et lui assena un coup violent dans la poitrine. Puis il
attrapa l’enfant par le bras et prit la fuite.
À demi assommé, Jeremy
hurla à Gabriel :
– Rattrapez-le, ne le
laissez surtout pas s’échapper !
Gabriel
s’était déjà lancé à la poursuite de l’inconnu. Il ne lui fallut que quelques
secondes pour le rattraper et le plaquer au sol, pendant que l’enfant détalait
sans demander son reste. Pantelant, Jeremy les rejoignit, talonné par Megan
qui, empêtrée dans ses jupes, n’avait pu courir aussi vite qu’eux. Gabriel avait
toutes les peines du monde à contenir l’homme qui se débattait comme un diable,
donnant force coups de pied et lacérant l’air de ses ongles. Il avait perdu son
chapeau dans la lutte, et des mèches rousses tranchaient sur le feuillage qui
recouvrait le sol.
Tout
à coup, Gabriel recula comme si un serpent l’avait mordu. Stupéfaits, Megan et
Jeremy fixèrent l’inconnu dont les cheveux s’étaient dénoués. Son visage à
présent découvert arborait une expression de défi.
– Oh,
mon Dieu, murmura le journaliste. C’est une femme…
*
Dans
Hanbury Street, au cœur du quartier de Whitechapel, Megan, Jeremy et Gabriel se
tenaient devant une façade percée de petites fenêtres à guillotine, aux vitres
noircies par la fumée de charbon et l’humidité. Pour arriver ici, ils avaient
pris un omnibus depuis Hyde Park en compagnie de l’inconnue, puis suivi un
dédale de venelles sombres et insalubres. La femme ne leur avait pratiquement
pas adressé la parole durant tout le trajet, se bornant à leur indiquer qu’elle
s’appelait « Victoria » et qu’elle leur donnerait toutes les
explications voulues une fois arrivés à destination. Jeremy avait acquiescé
avec une inconscience suspecte, et c’est ainsi qu’ils s’étaient retrouvés dans
le nord-est populeux et sordide de Londres, à Whitechapel, l’un des lieux les
plus malfamés de la capitale, peuplé de hordes de mendiants indigents,
d’enfants déguenillés et rachitiques et de prostituées outrageusement fardées.
Il existait entre l’est et l’ouest de Londres une ligne de démarcation
invisible qui séparait deux mondes violemment contrastés : le Londres
aristocratique et bourgeois du West End, avec ses riches demeures, ses parcs,
ses clubs, ses théâtres et ses boutiques rutilantes, et le Londres des taudis
et des ghettos, l’East End, où croupissait une population hâve et dépenaillée.
L’on passait ainsi sans transition de l’opulence la plus flamboyante à la
misère la plus noire. En outre, la grande majorité des usines que comptait la
capitale étant concentrées à l’est de la Cité, l’air était saturé d’odeurs
âcres et irritantes émanant des raffineries de sucre, ateliers de confection et
fabriques de chaussures de Whitechapel.
Victoria
ouvrit la porte de la maison, et Jeremy, Megan et Gabriel pénétrèrent à sa
suite dans une minuscule entrée qu’éclairait péniblement une unique lampe.
Victoria se dirigea vers le fond de l’habitation. Au passage, ils virent sur
leur gauche une longue salle meublée de plusieurs tables, auxquelles étaient
assis des groupes d’enfants en train de dîner sous la surveillance d’un vieillard
chenu.
Surprenant
les
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