Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

regards déconcertés de ses visiteurs, Victoria expliqua :
    –  Vous
êtes dans un orphelinat. Je le dirige avec Mrs. Brown que voici.
    Ils
avaient atteint la pièce du fond, un petit salon garni avec simplicité et, à
l’inverse du vestibule, vivement éclairé. Une femme d’une cinquantaine d’années
au nez pointu, au long cou maigre et aux cheveux grisonnants était assise près
d’un poêle à charbon, occupée à rapiécer des chemises. Mrs. Brown se leva à
leur entrée et leur adressa un bon sourire.
    –  Des amis à vous,
Victoria ?
    –  En effet, Esther. Je
dois m’entretenir avec eux.
    –  Je vous laisse alors.
    Mrs.
Brown salua les visiteurs et disparut dans le réfectoire. Victoria se tourna alors
vers eux, dévoilant pour la première fois ses traits à la pleine lumière, et
Gabriel changea de visage. Il saisit brusquement le bras de Jeremy.
    –  Nous devons partir,
annonça-t-il d’une voix brève.
    –  Mais pas du tout,
protesta le journaliste.
    –  Ne
voulez-vous donc pas entendre ce que j’ai à vous dire ? s’étonna Victoria
en dévorant Gabriel des yeux.
    –  Non,
insista-t-il fermement, nous sommes attendus ailleurs.
    Sans
laisser à Jeremy et Megan le temps de le contredire, il les poussa dans
l’entrée sous le regard stupéfait de Victoria.
    Lorsqu’ils
furent hors de portée de voix, Jeremy se dégagea sans douceur de son étreinte.
    –  Que
diable vous est-il passé par la tête ? Êtes-vous devenu fou ?
    –  Savez-vous
qui elle est ? demanda Gabriel avec impatience. C’est Victoria Werner.
    Jeremy
demeura un instant sans réaction, puis ses yeux s’agrandirent sous l’effet de
la surprise.
    –  Werner ?
Comme Charles Werner, le banquier qui dirigeait le Cercle sous les ordres
d’Angelia Killinton ?
    –  Exactement, Victoria est
sa fille cadette.
    –  Que
ferait-elle dans cet endroit sordide ? Est-elle donc privée de ressources
depuis la mort de son père ?
    –  Charles
Werner n’a certainement pas laissé sa femme et ses filles sans rien, affirma
Gabriel, catégorique.
    –  Vous connaît-elle ?
    –  Je ne pense pas.
    Jeremy réfléchit un
moment puis haussa les épaules.
    –  Soit,
Victoria est la fille d’un scélérat, mais qu’importe ? Elle n’est pas
responsable de ses crimes ; du reste, elle n’en a sans doute même pas connaissance.
    –  Oui, mais…
    –  Donc
je ne vois aucune raison de fuir sa présence, coupa Jeremy, bien au contraire.
    Ce
que le journaliste ne savait pas et que Gabriel n’avait aucunement l’intention
de lui révéler, c’était la nature coupable des relations que le jeune homme
avait entretenues avec Charles Werner. Comment Gabriel aurait-il pu se sentir à
l’aise face à Victoria sachant qu’il avait partagé le lit de son père ?
Non pas qu’il y eût pris plaisir en vérité, mais cela ne changeait rien au
problème.
    –  Je
suis d’accord avec Jeremy, intervint Megan. Si Victoria est la fille de Charles
Werner, c’est une raison de plus pour lui parler. La coïncidence est par trop
étrange.
    –  Ne
vous mêlez pas de mon enquête ! la rabroua le journaliste. Et vous,
ajouta-t-il à l’intention de Gabriel, partez si vous le souhaitez.
    Sans
attendre sa réponse, il regagna le salon avec Megan. Gabriel hésita un instant
avant de les suivre.
    Victoria
avait préparé du thé en leur absence. Elle ne parut pas surprise de les revoir,
se contentant de leur désigner des sièges d’un geste de la main.
    –  Asseyez-vous, je vous en
prie.
    Une
fois qu’ils furent tous installés cependant, elle ne parla pas aussitôt. Ses
yeux verts se posèrent successivement sur Jeremy et Megan, avant de s’attarder
plus longuement sur Gabriel. Lorsqu’elle prit enfin la parole, ce fut à Jeremy
qu’elle s’adressa :
    –  Peut-être pourriez-vous
me présenter vos amis, Mr. Shaw ?
    –  Voici
Megan Ward et Gabriel Dashwood, répondit-il laconiquement.
    –  Dashwood ?
fit Victoria en se tournant vers Gabriel. Comme dans Raison et
Sentiments ?
    –  Tout
à fait, balbutia le jeune homme qui avait choisi son nom dans l’œuvre de Jane
Austen.
    Victoria lui sourit
avant de regarder de nouveau Jeremy.
    –  Je
suis désolée de vous avoir infligé cette comédie. Je me suis déguisée en homme
car je craignais que vous ne me preniez pas au sérieux. En me travestissant,
j’avais l’assurance que vous écouteriez au moins ce que j’avais à vous dire…
    Elle