Le livre des ombres
Colum.
L'Irlandais
avait
un
sens
de
l'humour
communicatif, et, quand il commençait à s'esclaffer, il avait du mal à s'arrêter. Hetherington rayonnait de satisfaction en observant Kathryn, comme s'il s'attendait à ce qu'elle soit transportée par ce qu'il venait de lui apprendre.
— Votre nom est connu ici, à Cantorbéry, Sir Raymond, intervint Colum.
Le mensonge flatta l'intéressé.
— Cette année, c'est mon tour de me rendre au saint sanctuaire. Maître Neverett ici présent est mon assistant. Il a parachevé son apprentissage, et l'année prochaine, si Dieu le veut, il pourrait bien être admis en tant que membre à part entière de la guilde.
Hetherington tapota amicalement l'épaule du jeune homme.
— Je n'ai pas de fils, reprit-il, se penchant sur la table, et Richard est la consolation que m'a envoyée le Seigneur. Louise...
Il se tourna sur sa gauche vers la jeune femme qui lui sourit avec timidité et affectation.
— Louise est ma nièce. Elle est fiancée à Richard, et tous deux doivent se marier juste après le 1er mai.
Maître Fronzac et Brissot sont, évidemment, des officiers de la guilde hautement respectés. Vous connaissez certainement la réputation du docteur Brissot, Maîtresse Swinbrooke? En de nombreuses occasions, il a calmé mes humeurs, et fait des prédictions exactes après avoir examiné mon flegme et mon urine.
Hetherington porta un regard soupçonneux à Kathryn qui se mordait furieusement le coin de la lèvre.
— Moi aussi, j'appartiens à la guilde, intervint alors Dionysia Dauncey d'un ton âpre.
Elle fit un clin d'œil à Kathryn avant d'expliquer :
— Voilà dix ans que mon mari est mort.
Néanmoins, à la grande surprise de beaucoup, j'ai réussi à m'y maintenir seule.
En parlant, elle regardait Hetherington sans la moindre aménité.
—
Depuis combien de temps êtes-vous tous à Cantorbéry? demanda Kathryn.
Ce fut Hetherington qui répondit.
— Nous sommes arrivés il y a deux jours. Nous avons vu tout ce qu'il y avait à voir. J'ai embrassé les restes de la chemise de Becket et rendu visite aux moines du prieuré de Christchurch. Nous espérons repartir demain pour Londres.
— Je crains que ce ne soit pas possible, annonça Colum.
D'un geste de la main, il fit taire les protestations et poursuivit :
— Un crime a été perpétré sur le territoire soumis à l'autorité de cette ville.
— Vous nous accusez ? jeta Brissot d'un ton cassant.
— Nous avons affaire à Londres, affirma Neverett.
— Si vous quittiez Cantorbéry, répliqua Colum, certains risqueraient d'avancer que vous êtes des fugitifs. Après tout, vous êtes les derniers à avoir vu Maître Tenebrae vivant.
—
Il vaut mieux que vous restiez, insista Kathryn avec tact. Si vous retourniez à Londres, d'autres plus impitoyables que Maître Murtagh pourraient reprendre son enquête. Vous avez rencontré Theobald Foliot, l'envoyé de la reine?
Hetherington hocha la tête.
—
Oui. Quelle ombre sinistre, Maîtresse Swinbrooke!
Il passa la langue sur ses lèvres épaisses.
—
Nous ne partirons pas, conclut-il et il fit mine de se lever.
Mais Kathryn lui intima d'un geste de rester assis.
—
Nous n'en avons plus pour longtemps, dit-elle, cependant, une chose m'intrigue.
— Quoi donc? demanda Fronzac.
—
Vous êtes tous des membres importants d'une guilde de Londres, des hommes et des femmes fortunés, et de loyaux sujets du roi et de la sainte mère l'Église.
Kathryn appuya délibérément sur ces trois derniers mots.
—
Dans ces conditions, que faisions-nous avec quelqu'un comme Tenebrae? C'est cela? demanda la veuve Dauncey.
— Précisément.
—
Oh, c'est très simple, expliqua Hetherington.
Nous sommes orfèvres, Maîtresse Swinbrooke, et la capricieuse roue de la fortune tourne souvent sans qu'on s'y attende. Nous confectionnons des objets précieux que nous vendons, mais nous prêtons aussi de l'argent.
Il abaissa les yeux sur ses gros doigts qu'il étendit sur la table tout en poussant un soupir sonore.
—
La guerre civile est terminée, reprit-il, relevant des prunelles froides et rusées, maintenant. Que deviennent les orfèvres qui ont prêté de l'argent à la maison des Lancastre, Maîtresse ? Et que se passera-t-il dans le futur? Les lancastriens survivent, même s'ils sont en exil. Pensons aux mots de la Bible : « Un homme avisé regarde toujours vers l'avenir et arrange ses affaires en conséquence. »
Kathryn en savait
Weitere Kostenlose Bücher