Le livre des ombres
Kathryn. Son travail avec les patients lui avait enseigné à poser les bonnes questions, mais en écoutant Louise Condosti rire, elle comprenait qu'il lui restait beaucoup à apprendre.
— Comment pouvez-vous dire une chose pareille, Maîtresse Swinbrooke? s'écria Hetherington.
Kathryn haussa les épaules.
—
J'écarte seulement les obstacles du chemin, et je commence par le commencement.
Elle prit alors le taureau par les cornes.
—
Ce que je sais, c'est que Tenebrae vous faisait chanter, n'est-ce pas, Louise?
Cette dernière se rembrunit.
—
Oh, il ne vous tenait pas par l'argent, poursuivit Kathryn, ni par des allégeances politiques, ni parce que vous aviez soutenu des ennemis du roi. Il s'agissait de quelque chose de plus... plus personnel, si je puis dire.
Louise hocha la tête, ses yeux brillants de larmes.
Hetherington prit la parole.
—
Je vais répondre à sa place. Comme vous le savez, Maîtresse Condosti est ma pupille. Je lui ai assuré toutes les aises et tout le luxe, ainsi que la liberté qu'elle voulait. Peut-être un peu plus que je n'aurais dû.
Il se pencha pour tapoter affectueusement la main de Louise.
—
Il y a deux ans, le roi et la maison d'York étaient renversés, Marguerite d'Anjou et les lancastriens entraient dans Londres. Dans l'armée de ceux-ci se trouvaient beaucoup d'aventuriers, dont un noble français appauvri, Charles de Preau.
Ce de Preau était beau, charmant, séduisant et galant.
Hetherington marqua une pause et passa la langue sur ses lèvres.
—
Londres était en ébullition, les lancastriens cherchaient désespérément de l'argent. Mes confrères orfèvres et moi-même étions invités à d'innombrables banquets et festivités. En vérité, c'était pour obtenir des prêts aux taux d'intérêt les plus bas possible. Louise m'accompagna à un somptueux dîner donné au palais de Sheen : nous y avons festoyé, dansé, nous nous sommes amusés, il y avait même des fontaines d'où coulait du vin. Louise y a rencontré de Preau : beau parleur, fin et subtil, l'homme était rompu à toutes les finesses de la romance courtoise.
Hetherington regarda rapidement Kathryn.
—
Faut-il que j'en dise davantage, Maîtresse Swinbrooke ? Louise n'était encore qu'une enfant.
Elle donna son cœur à de Preau ; il la séduisit.
Louise était assise, le dos droit, les mains sur les genoux, les yeux fixés sur le sol.
—
Elle n'est plus une virgo intacta, comme diraient les mauvaises langues, elle n'est plus de première main.
—
Ce n'est pas un motif de condamnation, repartit vivement Kathryn qui sourit à Louise pour dire encore : Le cœur peut nous égarer, cependant comment Tenebrae a-t-il pu savoir un fait comme celui-ci?
—
Parce que j'ai été enceinte, Maîtresse Swinbrooke, répliqua Louise sans détour. Deux mois plus tard, les lancastriens quittaient Londres, et de Preau était tué à Barnet. J'ai fait une fausse couche, l'enfant dans mon sein est mort. Tenebrae a dû l'apprendre.
— Qui s'est occupé de vous ? demanda Kathryn.
— Brissot, répondit Hetherington.
—
Ah? fit Kathryn en se calant contre le dossier de son siège.
Hetherington reprit vite.
—
Je n'ai pas dit que Brissot a fourni l'information. D'autres étaient au courant.
—
Votre fiancé, Neverett, l'est-il? interrogea Kathryn.
—
Je
crois
que
oui,
répliqua
Louise,
embarrassée. Un jour, il faudra que je lui raconte.
Elle se frotta la bouche et Kathryn vit qu'elle tremblait. Elle dit encore :
— Pour être juste envers Brissot, comme l'a fait valoir Sir Raymond, d'autres l'ont su.
— Qui?
Hetherington intervint :
— Des membres de la guilde. Greene et la veuve Dauncey s'en sont doutés, c'est certain.
Kathryn détailla attentivement Louise. Elle ne semblait pas soulagée, ses mains tremblaient toujours tandis qu'elle jouait avec les glands dorés de la cordelière à sa taille. Kathryn se pencha pour presser ses doigts glacés.
— Il y a autre chose, n'est-ce pas? Racontez-moi, insista-t-elle. Pourquoi une jeune et jolie femme comme vous s'enfermerait-elle en tête à tête avec un être comme Tenebrae?
— Parce que j'étais amoureuse! s'écria Louise.
Oh, Maîtresse Kathryn, cela ne vous est jamais arrivé? J'aimais Charles de Preau de tout mon cœur et de tout mon esprit. Chaque fois que je venais à Cantorbéry, je rendais visite à Tenebrae pour savoir comment se terminerait notre liaison.
Kathryn sentit à sa voix combien
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