Le livre du cercle
de nier ces plaisirs et de s’abstenir du désir. Il est
devenu une chose précieuse et noble. Au lieu d’exalter l’homme qui rejetterait
toute idée de péché pour l’amour d’une dame ! Mais on ne peut pas mettre
l’amour en cage. Il ne connaît ni raison ni péché. L’amour est une créature
sauvage et affamée qui exige tout de celui qu’elle possède.
Elwen
ne répondit rien, se contentant d’acquiescer. Pierre prit le livre et le passa
d’une main à l’autre, perdu dans ses pensées. Les mots écrits en feuilles d’or
sur la couverture scintillaient dans la lumière terne de la chambre.
— Ce
livre appartenait à mon frère. Quand il est mort, il y a deux hivers, je l’ai
récupéré. Et je l’ai utilisé pour recréer l’histoire de Perceval : un nouveau
roman pour une nouvelle époque. Il fallait que je parvienne à me faire un nom
pour livrer mes poèmes au monde. Ce livre m’a permis d’établir ma réputation.
Il m’a donné du pouvoir.
Il
ouvrit l’ouvrage et en fit tourner les pages.
— Maintenant,
les gens se pressent pour m’entendre.
— Est-ce
votre frère qui l’a écrit?
— Non,
fit Pierre en riant avec lassitude. Antoine était bien incapable d’écrire quoi
que ce soit. Il était dans le négoce du vin.
— Comment
est-il entré en possession du livre, dans ce cas ?
Pierre
lui jeta un coup d’œil.
— Vous
devez me promettre la plus grande discrétion.
— Comptez
sur moi, murmura Elwen.
Elle
vit que Pierre hésitait malgré tout.
— Je
vous le jure, ajouta-t-elle en posant une main amicale sur sa cuisse.
Pierre
l’étudia un moment, puis un sourire éclaira son visage.
— Il
l’a trouvé sur le seuil de sa maison.
En
voyant l’incrédulité se peindre sur le visage d’Elwen, il hocha la tête et eut
un petit rire.
— J’ai
l’impression que la version selon laquelle un ange me l’aurait apporté semble
presque moins absurde, n’est-ce pas ? Ne me demandez pas comment il est arrivé
là, je n’en ai pas la moindre idée. Un matin, il y a de cela des années, mon
frère a ouvert sa porte et l’a découvert, caché derrière des barriques. Il me
l’a montré un jour où je lui rendais visite. J’y ai jeté un œil, mais à
l’époque je n’écrivais rien du tout. Quand on m’a renvoyé de la cour, je suis
retourné à Pont-Évêque, dans ma famille. Mon père a tenté de me convaincre
d’accepter ce qu’il considérait comme un véritable travail. Il ne comprenait
rien à la poésie, il disait que c’était une occupation niaise. J’étais
tellement découragé par la décision du roi que, je le confesse, j’ai commencé à
le croire. Mais quand Antoine est mort, la muse a recommencé à me visiter. Et
le jour où mon père et moi sommes venus à Paris pour nous occuper de ses
affaires, j’ai pris le livre et m’en suis inspiré.
Pierre
baissa les yeux.
— Je
me disais que je n’aurais jamais de meilleure opportunité. Et j’avais raison.
Je n’aurais jamais soupçonné avoir autant raison.
— Mais
n’êtes-vous pas inquiet? J’ai entendu dire que vous avez été banni de la cour
d’Aquitaine. Et les collèges de Paris, n’ont-ils pas tout fait pour interdire
votre spectacle ? N’êtes-vous pas menacé d’excommunication ?
— Je
reconnais que mon spectacle était un peu épicé pour les palais délicats. Mais
j’ai eu le temps de modifier le dosage des ingrédients.
Soudain,
Pierre se leva et ramassa le rouleau de parchemin, ainsi que Le Livre du Graal.
— D’ailleurs,
les courtisans attendent la représentation avec impatience, d’après ce qu’on
m’a dit. Les dominicains ne réussiront pas à rallier le roi à leur cause.
Elwen
le vit ranger le livre et les poèmes dans le sac et jura en son for intérieur.
Elle l’avait eu à portée de main.
— Ce
n’est pas aussi vilain que certains le prétendent. Du moins, le diable n’est
jamais apparu jusqu’ici.
On
frappa.
Pierre
regarda un moment la porte sans rien dire, puis il traversa la pièce et
l’entrouvrit.
— Oui
? Qu’est-ce que c’est ?
— Vous
avez demandé qu’on vous informe quand la Grande Salle serait prête, messire.
Elwen
supposa que c’était un domestique. Pierre lui jeta un coup d’œil par-dessus son
épaule.
— Excusez-moi,
madame, lui dit-il avant de sortir dans le couloir en laissant la porte ouverte
derrière lui. Tout a-t-il été préparé selon mes instructions ?
— Oui,
messire, vous ferez face au
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