Le livre du cercle
ignorant complètement les propos du
troubadour, sur ordre de la Maison des Jacobins de Paris, disciples de l’ordre
des Dominicains et autorisés à éliminer l’hérésie par le pape Grégoire IX,
lui-même instrument du Divin, je vous arrête.
— Vous
m’arrêtez ? Et quelle accusation portez-vous contre moi ?
— L’accusation
d’hérésie.
— Écoutez,
répondit vivement Pierre, je ne sais pas ce que vous avez entendu mais je peux
vous assurer que c’est entièrement faux. Je ne suis pas hérétique !
— Remettez-nous
immédiatement le livre dont vous êtes en possession et qui est l’œuvre du
Malin, et suivez-nous !
— Vous
ne pouvez pas faire ça ! cria Pierre, incapable de contrôler sa peur. Je suis
l’invité de Sa Majesté ! Il m’a invité à me produire ici ce soir !
— Où
est Le Livre du Graal ?
— Ne
touchez pas à ça !
Un
grand Templier aux cheveux bruns avait intercepté le regard de Pierre à la
mention du livre, et venait de se saisir du sac posé sur l’estrade.
Le
dominicain se tourna.
— Frère
Nicolas ! aboya-t-il. Reculez. Je m’en occupe.
Nicolas
de Navarre, qui s’apprêtait à fouiller le contenu
du
sac, s’arrêta net.
— Je
vous en prie, frère Gilles, dit-il au bout d’un moment en s’écartant.
Gilles
ôta sa croix en bois et la suspendit au-dessus du sac en entonnant des prières,
mais Pierre sauta soudain de l’estrade.
— Arrêtez-le
! cria le deuxième dominicain.
— Faites
venir le roi ! hurla Pierre aux domestiques qui regardaient la scène bouche
bée.
Pour
le faire taire, l’un des chevaliers le frappa à l’arrière du crâne de son poing
recouvert d’une cotte de mailles.
— Ça
t’apprendra à répandre des horreurs sur notre compte ! lui glissa le Templier
dans le creux de l’oreille.
Pierre,
sonné, fut fermement maintenu tandis que Gilles terminait sa prière et glissait
délicatement sa main dans le sac.
— Vous
n’avez pas le droit de faire ça, grogna le troubadour.
— Vous
avez offensé Notre-Seigneur et pollué la Chrétienté, dit le deuxième
dominicain, d’un ton aussi impitoyable que le regard qu’il lui jetait. Mais
notre maison fera tout pour que vous puissiez obtenir votre salut. Nous nous
efforcerons de vous écarter des ténèbres dans lesquelles vous croupissez, nous
servirons Dieu en exorcisant le démon qu’il y a en vous. Ceux qui s’écartent du
chemin de Dieu doivent subir un juste châtiment. Quand on s’allie à Satan...
— Je
ne le trouve pas.
Le
dominicain se tourna.
Toujours
hébété, Pierre pencha la tête en regardant Gilles secouer le sac vide au-dessus
de l’estrade. Ses poèmes s’éparpillèrent sur la planche mais Le Livre du Graal
n’était pas là. Nicolas de Navarre se mit en devoir de vérifier tous les
parchemins, mais Gilles se dirigea droit sur Pierre.
— Où
est-il ?
— Comment
? répondit Pierre, ahuri.
Gilles
saisit Pierre par le cou et lui releva la tête sans ménagement.
— Où
est le livre ? répéta-t-il.
Pierre
émit quelques gargouillis, sa pomme d’Adam faisant des allers retours
désespérés dans sa gorge.
— Frère
Gilles.
Le
dominicain regarda derrière lui d’un air distrait. Nicolas de Navarre avait
fini d’examiner les parchemins et il s’était approché de la scène.
— Peut-être
devrais-je prendre la relève à ce stade, proposa le chevalier.
Gilles
donna l’impression de vouloir discuter, puis il se ravisa et recula.
En
voyant Nicolas avancer vers lui, la respiration de Pierre devint encore plus
hachée. À la ceinture du Templier pendaient, outre son épée, une arbalète et
une dague.
— Il
est dans mon sac ! lâcha Pierre avant même que Nicolas n’ait prononcé un mot.
— J’ai
bien peur que non, dit doucement Nicolas.
Des
larmes commençaient à venir au troubadour.
— S’il
vous plaît ! Ce n’est même pas moi qui l’ai écrit ! Je le jure !
— Je
te crois, répondit Nicolas en parlant à voix basse à Pierre, sur le ton de la
confidence. Si tu coopères avec les dominicains, tu as une chance de t’en
tirer. Mais tu dois d’abord leur dire où se trouve le livre. Sinon, ils seront
forcés de te condamner pour hérésie et ils continueront à chercher ce livre
sans ton assistance. Il ne fait aucun doute qu’ils commenceront par rendre
visite à ta famille à Pont-Évêque.
— Ma
famille ? murmura Pierre.
Nicolas
baissa encore un peu plus la voix, ce n’était plus qu’un souffle sur les
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