Le livre du cercle
Pas
longtemps.
Will
regarda Garin faire les cent pas dans la chambre pendant quelques minutes.
— Pourquoi
fais-tu ça ? lui demanda-t-il au bout d’un moment. Pourquoi veux-tu le livre ?
— Ce
n’est pas moi, répondit Garin, c’est lui qui le veut.
— Qui
est-ce ?
Garin
ne répondit pas.
Quelques
instants plus tard, Will se sentit nauséeux. Il voulut dire quelque chose, mais
son estomac se souleva avec violence et il se plia en deux en vomissant sur le
sol, après quoi il s’effondra contre le lit. Des frissons lui parcouraient le
dos de bas en haut. Le picotement sur sa langue se répandit sur ses joues, puis
sur son crâne et sa nuque. Il eut une envie irrépressible de rire et il se
laissa aller. Son rire était aussi violent que les vomissements qui l’avaient
précédé et il se mit à pleurer en même temps. Il s’affaissa sur le côté, essaya
de se redresser mais ses membres ne répondaient plus. Il s’étalait toujours
plus et son euphorie avait disparu. Il avait l’impression que ses bras et ses
jambes appartenaient à quelqu’un d’autre, à quelqu’un qui aurait décidé de ne
plus bouger. Garin parlait mais les mots n’avaient aucun sens et lui
écorchaient les tympans. Il essaya de les repousser du bras mais tout ce qu’il
réussit à faire fut de remuer la main de quelques centimètres. La chambre
tanguait. Le visage de Garin était déformé et la femme avait une balafre rouge
à la place de la bouche. Toutes les couleurs et les formes se mélangeaient les
unes aux autres.
— Pourquoi
? essaya-t-il de dire à Garin.
Will
entendit le chevalier répondre et les mots résonnaient comme s’ils revenaient
en écho depuis un trou d’une profondeur inouïe.
— Pour
ce que ça vaut, Will, je suis désolé. Mais tu ne sais pas ce que j’ai traversé.
Will
sentit qu’il sombrait. Quelques secondes plus tard, Adela marcha jusqu’au corps
prostré au pied du lit. Elle souleva une de ses paupières et hocha la tête.
— Ça
y est.
— Bien.
Je vais dire à Rook que nous l’avons empoisonné.
— Aide-moi
à le détacher, d’abord.
— Pourquoi
?
— Je
ne veux pas que quelqu’un entre ici et le découvre attaché comme ça, avec tous
les coups qu’il a pris. Au moins, s’il est sur le lit, on pensera qu’il est
saoul.
Garin
aida Adela à défaire les nœuds.
— Il
va dire aux responsables de ton Ordre que c’est toi qui lui as fait ça, non ?
demanda Adela tandis qu’ils hissaient Will sur le lit. Si c’est le cas, ils
t’arrêteront ?
Déjà
sur les nerfs, Garin crut défaillir en pensant à Merlan. Il y avait des fosses
là-bas spécialement réservées aux traîtres. D’après ce qu’on lui avait dit,
c’était à peine assez grand pour qu’un homme s’y tînt accroupi. On le jetterait
et il y vivrait plié en deux, dans une obscurité et une solitude totales, sans
nourriture ni eau, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
— Je
te l’ai dit, je ne retournerai pas au Temple.
Il
ramassa son sac, qui contenait ses quelques biens, dont la lettre
d’introduction du visiteur, et prit son manteau roulé en boule.
— Quand
je reviendrai, nous irons quelque part où ils ne pourront pas nous trouver. Je
viendrai te chercher. Tu peux vendre ton auberge, ou l’abandonner. Peu importe,
nous partirons quoi qu’il en soit.
Garin
s’interrompit le temps de mettre son manteau dans le sac.
Alors,
c’est ça ? lui disait une petite voix intérieure en se moquant de lui.
Peut-être était-ce celle de son oncle. Tu vas tout quitter, ta place au Temple,
tes devoirs en tant que fils, en tant que Lyons, pour une pute ? Garin repoussa
ce que la voix lui disait.
— Alors,
c’est fait? demanda Rook quand Garin, quelques instants plus tard, arriva dans
la cour à l’arrière de l’auberge, son sac balancé par-dessus l’épaule.
Des
nuages épars dissimulaient la lune et l’endroit était plongé dans le noir, les
barriques projetant leurs ombres trapues sur les murs.
— Oui,
répondit Garin.
Entendant
un hennissement, il se retourna. Deux chevaux étaient attachés dans l’allée
partant de la cour. Rook s’approcha des montures et fixa son sac à la selle de
la première.
— Où
les as-tu trouvés ? l’interrogea Garin.
— Qu’est-ce
qui t’a pris si longtemps ? le questionna Rook en retour, ses yeux brillant
dans la lumière pâle provenant de l’auberge, avec le son des chants et des
rires.
— Je
l’ai empoisonné. J’ai attendu d’être
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