Le livre du cercle
avait le visage tout rouge et malgré le froid qu’il
faisait dehors, de la sueur perlait sur son front.
— Tu
es revenu, dit-elle d’une petite voix qui se perdit dans le brouhaha de la pièce.
Garin
caressa sa joue meurtrie.
— Je
suis désolé. Je sais qu’il t’a forcée, que ce n’est pas de ta faute.
— En
effet, dit-elle soudainement en retirant sa joue. Ce n’est pas moi qui l’ai
amené ici, pour commencer.
— Ne
dis pas ça, s’il te plaît, je n’y suis pour rien. Je ne lui ai pas demandé de
venir ici. Je suis désolé.
Comme
elle se détournait, il l’attrapa par l’épaule.
— Écoute-moi,
Adela, fit-il en élevant la voix pour qu’elle l’entende par-dessus les rires
qu’un marchand avait provoqués en chutant d’une table. Si Rook obtient ce qu’il
veut, il me paiera et nous pourrons être ensemble. Je pensais tout ce que je
t’ai dit, et je le pense encore.
— Et
le Temple ? dit-elle d’un ton accusateur. Tu crois que ton Ordre te laissera
épouser une pute ?
— Je
quitterai le Temple, dit Garin sans se préoccuper davantage de cet aspect de la
situation. On m’a promis un titre de noblesse, et si tout se passe bien ce
soir, je l’obtiendrai. J’achèterai un domaine en Angleterre. Ou n’importe où,
comme tu voudras. Je veux seulement que tu viennes avec moi.
— Et
s’ils ne te laissent pas quitter l’Ordre ?
— Hier,
j’ai dit au visiteur que j’acceptais une affectation à Chypre. Il s’attend à ce
que je m’y rende le plus tôt possible. Si je ne reviens pas, il pensera que je
suis parti. Avant que quelqu’un ne s’aperçoive de ma disparition, il faudra du
temps.
— Pourquoi
t’es-tu enfui ? Pourquoi m’as-tu laissée avec lui ?
— J’étais
furieux, dit Garin en essayant une nouvelle fois de lui caresser la joue.
Mais
Adela s’écarta de nouveau et il se renfrogna.
— Je
suis revenu, non ? dit-il en pressant ses mains entre ses doigts. Je ne veux
plus te partager, ni avec ce bâtard, ni avec personne ! Quitte cet endroit, je
peux m’occuper de nous.
— Tu
ferais mieux d’aller à l’étage, répondit calmement Adela en retirant ses mains.
Rook est avec le Templier dans ma chambre. La dernière chose dont j’ai besoin
ce soir, c’est d’un meurtre.
Garin
jeta un regard craintif vers l’escalier.
— Will
est ici ?
Il
reporta son regard sur elle.
—
D’abord, promets-moi que tu me suivras. Je ne pourrai rien faire tant que tu ne
me l’auras pas promis.
— Je
vais y réfléchir.
Au
bout d’un moment, Garin hocha la tête en souriant faiblement, puis il se
dirigea vers les escaliers.
En
arrivant devant la chambre d’Adela, il entendit la voix assourdie dé Rook de
l’autre côté de la porte, puis des cris de douleur étouffés. Il prit une
profonde inspiration et frappa. Quelques secondes plus tard, la porte
s’ouvrait.
Les
yeux de Rook se plissèrent en voyant Garin.
— Tu
t’enfuis encore une fois comme ça et je te démolis, grogna-t-il à travers son
masque noir.
Puis
il ouvrit la porte en grand et Garin aperçut Will, assis sur le sol, le dos
calé contre le lit et les poignets attachés aux pieds de celui-ci, bras
écartés, les chevilles elles aussi entravées par une ceinture. On eût dit un
crucifix brisé. Garin vit qu’il essayait de tourner la tête mais une violente
quinte de toux le prit, un soubresaut plutôt, et du sang jaillit de sa bouche.
Il vit avec stupéfaction que Will portait le manteau blanc des chevaliers.
— Le
gamin ne veut pas parler. Il va falloir que tu m’aides.
— Je
ne peux pas ! protesta Garin. Il me connaît !
— Et
tu le connais aussi, rétorqua Rook. Tu sais mieux que moi où appuyer pour le
faire plier.
— Non,
dit Garin, je ne veux pas participer à ça. Il est chevalier, pour l’amour de
Dieu ! Si on nous découvrait, vous seriez pendu et je finirais à Merlan !
— A
l’aide, grogna faiblement Will.
— Ferme-la
! lui lança Rook par-dessus son épaule.
Puis
il attrapa Garin par le bras.
— Cesse
de pleurnicher et entre dans la chambre. J’en ai plus qu’assez de ces histoires
! Soit tu fais parler ce bâtard, soit je vous tue tous les deux !
Rook
claqua la porte dans son dos et Garin fit lentement le tour du lit. Les yeux à
demi clos, Will avait le menton posé sur sa poitrine. Ses lèvres et son nez
pissaient le sang et une grande plaie bleuissait sur son arcade sourcilière
droite. Recouvert d’une fine pellicule de sueur, son visage était
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