Le livre du cercle
Peut-être
voudrais-tu qu’on parie là-dessus ?
— Et
qu’est-ce que je miserais ? Contrairement à toi, je ne suis pas payé pour mes
services.
Une
ombre passa sur lui, assombrissant d’un coup la lueur rouge du soleil qu’il
percevait à travers ses paupières. Puis il sentit la manche d’Elwen lui frôler
la joue.
— Tu
pourrais miser ton cœur.
Il
sourit, bien qu’il ne pût déterminer au son de sa voix si elle était satisfaite
de ses réponses. Puis il sentit quelque chose de dur contre ses lèvres et il
ouvrit la bouche pour l’accueillir. Il mâcha lentement et une saveur nettement
identifiable lui piqua la langue.
— Pomme.
C’était facile.
— Le
suivant sera plus dur.
Will
attendit en écoutant le bourdonnement des abeilles dans l’herbe haute. Elwen
fouilla de nouveau dans son sac.
— La
reine n’attend-elle pas ton retour ?
— Non,
répondit-elle vivement, j’ai tout l’après-midi pour moi.
Will
secoua la tête, jaloux de la liberté d’Elwen. La plupart des femmes de dix-neuf
ans en étaient à leur cinquième ou sixième année de mariage, elles avaient
depuis longtemps abandonné leurs droits et leurs terres pour les offrir en dot
à leurs maris. Tandis qu’Elwen, toujours demoiselle, et dame de compagnie de la
reine Marguerite, jouissait de grands privilèges. Si elle l’avait désiré, elle
aurait même pu investir l’argent qu’elle gagnait dans une propriété. Sans
compter que, du fait qu’elle avait entretenu durant ces six années une grande
proximité avec sa maîtresse, cela lui avait assuré une liberté plus grande que
celle que Will connaîtrait jamais, attaché comme il l’était au Temple et à
Everard.
— Je
travaille beaucoup et tu ne me récompenses guère, ajouta Elwen en voyant
l’expression désabusée de Will. Continue à fermer les yeux.
Elle
posa contre ses lèvres quelque chose de friable dont l’odeur était douce.
Le
jeu dura ainsi un moment. Will reconnut le gâteau aux amandes, l’œuf et le fromage,
et fit une grimace quand elle lui présenta le citron, ce qui fit rire Elwen aux
éclats.
— Bon,
ça suffit, dit-il finalement en recrachant une pincée de sel.
Il
s’assit et ouvrit les yeux, qui clignotèrent un moment à cause de
l’éblouissement.
— J’ai
gagné, non ?
— Non
! s’exclama Elwen en le repoussant sur le dos. Un dernier.
— Elwen...
gémit-il.
— Allez,
un de plus.
— Très
bien, fit-il en lui jetant un regard suspicieux. Mais plus de citron ni de sel.
Elle
sourit et il ferma les yeux.
— Et
d’abord, où as-tu trouvé toute cette nourriture ? Nous mangeons le souper du
roi ?
Elwen
ne répondit pas. Will la sentit se pencher au-dessus de lui. Derrière ses
paupières, l’obscurité s’intensifia tandis qu’elle s’approchait. Sa main frôla
la sienne et son cœur commença à battre la chamade. Un instant après, quelque
chose de soyeux touchait ses lèvres. Il les ouvrit, sachant que ce n’était ni
une pâtisserie ni un fruit qu’elles s’apprêtaient à recevoir, mais quelque
chose de bien plus délicieux. Will frissonna quand les lèvres d’Elwen se
pressèrent contre les siennes, sa langue s’élançant contre la sienne. Depuis
qu’il avait reçu le message lui demandant de la retrouver à la porte
Saint-Denis, il savait ce qui allait se passer. La passion triompha de la
raison et, levant le bras, Will attira Elwen contre lui et profita de la
chaleur de son corps contre sa poitrine. Ses cheveux se répandaient comme de
l’eau sur ses mains et son visage. Ses doigts se prenaient au piège dans les
boucles de la jeune fille. Il se noyait en elle. Et si c’était un péché, il
avait le goût et la couleur du miel.
Un
faucon crécerelle, qui tournoyait au-dessus du champ à la recherche d’une
proie, plongea vers l’herbe en poussant un cri. Le bruit ramena Will à la
réalité. Il saisit le bras d’Elwen et la repoussa gentiment.
— Elwen.
— Qu’est-ce
qu’il y a ? demanda-t-elle en s’asseyant et en fronçant les sourcils.
Will
s’assit à côté d’elle. Il évitait de croiser son regard.
— Tu
sais bien ce qu’il y a. Nous nous sommes promis de ne plus refaire ça. Pour ne
pas risquer de perdre notre amitié. C’est ce que nous avons décidé.
— C’est
ce que toi, tu as décidé, le corrigea Elwen en se levant.
Elle
regarda en direction de la ville en contrebas.
— Et
je crois me souvenir que c’était pour ne pas risquer de perdre ton manteau,
Weitere Kostenlose Bücher