Le loup des plaines
souffrance et la prit dans ses bras. Puis elle les
fit asseoir toutes deux et demanda à la servante de leur apporter du thé
brûlant. Pour faire tenir Temülen tranquille, Hoelun lui donna un sac de
morceaux de lait caillé qu’elle alla manger dans un coin. Temüdjin regarda les
femmes des Olkhunuts bavarder et fut content de voir Börte sourire en écoutant
sa mère évoquer ses souvenirs. Hoelun comprenait leur peur dans cet
environnement étranger. Elle était passée par là. Pendant qu’elles se
réchauffaient, elle leur posa mille questions, sa voix reprenant un accent
olkhunut.
— Sansar est-il toujours le khan ? Qu’est devenu
mon neveu, Koke ? Et son père, Enq ?
Börte répondait sans la moindre gêne. Temüdjin l’observait
avec orgueil, comme s’il y était pour quelque chose. Sa mère semblant l’avoir
oublié, il fit signe à la servante de lui apporter un bol de thé puis ferma les
yeux de plaisir en laissant la chaleur gagner son corps.
— … ne devrait plus durer longtemps, cette tempête de
neige, entendit-il sa mère dire. Le dégel a commencé, les passes des montagnes
seront bientôt franchissables.
— Je ne crois pas avoir déjà eu aussi froid, répondit Börte
en se frottant les mains.
Elles semblaient bien s’entendre et Temüdjin rouvrit les
yeux pour annoncer :
— J’ai amené Eluin pour qu’elle soit l’épouse de Khasar
ou de Kachium.
Les deux femmes le regardèrent brièvement, puis reprirent
leur conversation comme s’il n’avait pas parlé. Il grogna intérieurement :
aucun homme n’est un khan pour sa mère. La chaleur l’engourdit et, leurs douces
voix dans les oreilles, il s’endormit.
Assis dans une yourte voisine, Kachium et Khasar mâchaient
de la viande de mouton cuite pendant de longues heures dans un bouillon. Avec
ce froid, on laissait constamment la marmite sur le feu afin que chacun puisse
en boire un bol pour se réchauffer avant de ressortir. Ils n’avaient pas eu
souvent l’occasion de se détendre pendant l’absence de Temüdjin. Les deux
frères acceptaient de bonne grâce les ordres de Jelme, sachant que Temüdjin le
voulait ainsi.
— Elle me plaît, cette Eluin, dit Khasar.
Kachium réagit aussitôt, comme son frère s’y attendait.
— C’est la tienne qui est morte. Eluin est ma promise, tu
le sais parfaitement.
— Je ne sais rien de tel, petit frère. L’aîné reçoit
toujours le thé et la viande en premier, tu l’as remarqué ? C’est pareil
pour les femmes.
Kachium eut un grognement à demi amusé. Il avait été le
premier à voir Eluin quand il avait quitté le camp, alerté par le cri d’une
sentinelle. Il l’avait alors à peine remarquée, emmitouflée qu’elle était dans
ses vêtements, mais il estimait que cela lui donnait une sorte de droit de
préséance. En tout cas, un droit plus légitime que celui de Khasar, qui n’avait
fait que sortir à moitié endormi d’une yourte pour la rencontrer.
— Temüdjin en décidera, dit-il.
Khasar acquiesça, tout sourire.
— Je suis content que nous n’ayons pas à nous disputer.
Je suis l’aîné, après tout.
— J’ai dit qu’il déciderait, pas qu’il te choisirait, répliqua
Kachium.
— J’ai tout de suite pensé qu’elle était jolie. De
longues jambes…
— Comment aurais-tu pu voir ses jambes ? Elle
avait l’air d’un yack, avec tous ces vêtements.
— Elle est grande, tu as bien dû le remarquer, non ?
À moins que tu ne t’imagines que ses pieds ne touchent pas le sol, il doit bien
y avoir des longues jambes quelque part. Des jambes fortes pour entourer les
reins d’un homme, si tu vois ce que je veux dire.
— Temüdjin pourrait la donner à Jelme, avança Kachium, plus
pour faire enrager son frère que parce qu’il croyait à cette éventualité.
Khasar secoua la tête.
— Les liens du sang d’abord. Temüdjin le sait mieux que
personne.
— Si tu prenais la peine de l’écouter, tu saurais qu’il
prétend être uni par le sang à chaque homme et à chaque femme de ce camp, quelles
que soient sa tribu ou sa famille. Par les esprits, tu penses plus à ton estomac
et à ton bas-ventre qu’à ce qu’il essaie de faire ici.
Les deux frères échangèrent un regard mauvais.
— Si tu veux dire que je ne le suis pas partout comme
un chien perdu, tu as raison, rétorqua Khasar. Avec toi et Jelme, il a sa
petite troupe d’adorateurs.
— Tu n’es qu’un idiot, énonça Kachium avec
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