Le loup des plaines
Börte chez lui.
— Conduis-moi à ma mère, Jelme, dit-il, frissonnant
dans le froid. Il lui tarde sans doute d’avoir des nouvelles des Olkhunuts.
Remarquant la nervosité de Börte, il s’efforça de la
rassurer :
— Elle t’accueillera comme sa propre fille.
Tandis que Jelme ouvrait la marche, Temüdjin vit que le
vagabond qu’il avait pris sous son aile se tenait gauchement à l’écart.
— Kachium ? Voici Barakh, un bon guerrier. Il a
besoin de s’entraîner à l’arc et il ne s’est jamais servi d’un sabre. Il est
fort et courageux, cependant. Vois ce que tu peux faire de lui.
Temüdjin plissa le front en se rappelant autre chose.
— Veille aussi à ce qu’Arslan ait tout ce qu’il lui
faut pour forger de nouvelles armes. Envoie des hommes creuser la terre pour
rapporter du minerai.
— Il y a un filon dans cette colline, répondit Kachium.
Nous avons déjà préparé pour lui un tas de pierres grises. Jelme n’a laissé
personne y toucher avant le retour de son père.
Temüdjin remarqua qu’Arslan et son fils écoutaient tous les
deux.
— Il a eu raison, approuva-t-il aussitôt. Arslan nous
fera deux sabres plus beaux que tous ceux qu’on a jamais vus. N’est-ce pas ?
Le forgeron était encore étourdi du bonheur de retrouver son
fils vivant et fort, devenu un meneur d’hommes. Il inclina la tête.
— À tes ordres.
— Maintenant, par le père ciel, mettons-nous à l’abri
de ce vent, grommela Temüdjin. Je croyais que le printemps était arrivé…
Khasar haussa les épaules.
— C’est le printemps, dans le Nord, je crois. Personnellement,
je préfère un temps un peu plus doux.
Temüdjin regarda tour à tour Khasar, Kachium, Jelme et
Arslan.
De magnifiques guerriers, se dit-il, et son cœur s’envola à
la pensée de ce qu’ils accompliraient peut-être ensemble.
Hoelun avait une tente à elle, avec une fille d’une nouvelle
famille pour l’aider. Elle était en train de s’enduire de graisse de mouton
quand elle entendit l’agitation du camp. La servante alla aux nouvelles, revint
hors d’haleine.
— Ton fils est de retour, maîtresse !
Hoelun laissa tomber le pot de graisse et s’essuya les mains
à un vieux chiffon. D’un claquement de langue, elle réclama son deel et
tendit les bras pour que la jeune fille l’aide à enfiler le vêtement. L’intensité
de son émotion la surprit. Temüdjin avait encore une fois survécu. Bien qu’elle
ne pût oublier l’acte qu’il avait commis aux heures sombres, il était toujours
son fils. Chez toute mère, l’amour est une chose étrange et tortueuse, inaccessible
à la raison.
Lorsqu’elle entendit sa voix dehors, Hoelun s’était
ressaisie. Pour occuper ses mains encore tremblantes, elle peignait la petite Temülen,
assise sur ses genoux. La fillette, qui semblait sentir l’humeur bizarre de sa
mère, écarquilla les yeux quand la portière se souleva. Temüdjin fit entrer l’hiver
avec lui dans une rafale de neige et d’air glacé. Temülen poussa un cri de joie
en découvrant le frère qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps.
Temüdjin l’embrassa, la complimenta sur sa magnifique
chevelure, comme il le faisait toujours. Pendant qu’il bavardait avec Temülen,
Hoelun examinait le jeune homme qui lui inspirait des sentiments aussi mêlés. Qu’il
le sût ou non, il était le fils que Yesugei aurait voulu. Dans ses moments d’abattement,
elle songeait que Yesugei aurait approuvé la mort de Bekter alors qu’ils
crevaient de faim. Ses fils avaient hérité la dureté de leur père, à moins qu’il
ne la leur eût inculquée par la vie qu’il leur imposait.
— Je suis heureuse de te voir, mon fils, dit-elle d’un
ton cérémonieux.
Il sourit, se tourna sur le côté pour laisser entrer deux
jeunes femmes. Reconnaissant les traits délicats de son peuple, Hoelun eut un
accès de nostalgie, surprenant après tant d’années. Elle se leva, prit les deux
Olkhunuts par la main pour les amener dans la chaleur du poêle. Temülen se
glissa entre elles et demanda qui elles étaient.
— Tisonne le feu, dit Hoelun à sa fille. Elles doivent
être gelées. Laquelle est Börte ?
— Moi, mère, répondit la plus haute en taille. J’appartiens
aux Olkhunuts.
— Je l’avais deviné à ton visage et aux ornements de
ton deel. Et toi, ma fille, quel est ton nom ?
Bien qu’écrasée de chagrin, Eluin fit de son mieux pour
répondre. Hoelun devina sa
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