Le loup des plaines
rencontrent. Chacune renforce leur sang avec la semence d’une autre.
— Cela nous renforce aussi ?
Sans ouvrir les yeux, le khan répondit :
— Les Loups sont déjà forts.
5
Le regard perçant de Yesugei repéra les éclaireurs olkhunuts
au moment précis où eux-mêmes le découvrirent. Les notes graves de leurs cors
portèrent jusqu’à la tribu, appelant les guerriers à défendre leurs troupeaux
et leurs femmes. Le khan mit son fils en garde :
— Tu ne parleras que si on t’adresse la parole. Montre-leur
un visage impassible, quoi qu’il arrive. Compris ?
Temüdjin ne répondit pas, déglutit nerveusement. Les jours
et les nuits passés avec son père avaient été un moment étrange pour lui. De
toute sa vie, il ne se rappelait pas avoir retenu son attention aussi longtemps,
sans ses frères pour envahir le champ de vision de Yesugei et le distraire. D’abord,
le garçon avait cru que ce serait une torture d’être coincé avec lui pendant
tout le voyage. Ils n’étaient pas amis, ils ne pouvaient pas l’être, mais par
moments il avait surpris le reflet de quelque chose dans l’œil paternel. Chez
quelqu’un d’autre, il aurait dit que c’était de la fierté.
De la poussière se souleva au loin lorsque de jeunes
guerriers sautèrent sur leurs chevaux. La bouche de Yesugei devint une fine
ligne dure et il se redressa sur sa selle. Temüdjin l’imita du mieux qu’il put
et regarda le nuage de poussière grossir tandis que des dizaines de cavaliers
déferlaient vers la paire solitaire qu’ils formaient.
— Ne te tourne pas, ordonna sèchement Yesugei. Ce sont
des gamins qui jouent, tu me feras honte si tu leur fais cet honneur.
— D’accord, répondit Temüdjin. Mais si tu restes figé
comme une pierre, ils sauront qu’ils ont toute ton attention. Est-ce qu’il ne
vaudrait pas mieux me parler, rire ?
Il sentit le regard de Yesugei sur lui et eut un moment de
frayeur. Ces yeux dorés avaient été la dernière chose que plus d’un jeune homme
de la tribu avait vue. Yesugei se préparait à un assaut ennemi, son instinct
prenait le pas sur ses muscles et ses réactions. Temüdjin le vit s’évertuer à
se détendre.
— J’aurai l’air d’un idiot s’ils nous font tomber de
cheval et nous taillent en pièces, maugréa Yesugei, avec un rictus qui aurait
mieux convenu à un cadavre.
Temüdjin s’esclaffa, sincèrement amusé par les efforts de
son père.
— Ça t’est pénible, je vois. Essaie de renverser la
tête en arrière en même temps.
Le père suivit la suggestion du fils et ils riaient tous
deux aux éclats lorsque les Olkhunuts les rejoignirent. Le visage cramoisi, Yesugei
essuyait ses larmes tandis que les cavaliers vociférants s’arrêtaient et
bloquaient de leurs montures les deux étrangers. Le nuage de poussière les
suivit, enveloppant le groupe et les faisant tous cligner des yeux.
Le groupe de guerriers garda le silence tandis que Temüdjin
et Yesugei ayant repris leur sérieux faisaient comme s’ils venaient juste de
les apercevoir. Temüdjin conservait une expression impénétrable même s’il avait
peine à déguiser sa curiosité. Tout chez ces hommes était subtilement différent
de ce dont il avait l’habitude. Leurs chevaux étaient superbes et les guerriers
portaient des deels légers gris et or sur des pantalons marron foncé. D’une
certaine façon, ils paraissaient plus propres, plus nets, que les hommes de sa
tribu, et Temüdjin sentit naître en lui un vague ressentiment. Son regard se
posa sur celui qui devait être le chef et dont les autres attendaient
visiblement les ordres.
Le jeune guerrier montait aussi bien que Kachium mais c’était
presque un adulte, vêtu d’une mince tunique qui ne couvrait pas ses bras bruns.
Deux arcs et une hache pendaient à sa selle. Temüdjin ne vit pas de sabre sur
les autres mais eux aussi portaient de petites haches et il se demanda à quoi
elles leur serviraient contre des hommes armés : un bon sabre en ferait du
petit bois en un coup ou deux. À moins qu’ils ne les lancent.
Les Olkhunuts les examinaient eux aussi avec intérêt. L’un
des guerriers approcha son cheval de Yesugei, une main se tendit pour tâter le
tissu de son deel.
Temüdjin vit à peine son père bouger mais la paume de l’homme
fut rayée d’une balafre rouge avant qu’il ait pu toucher ce qui appartenait au
khan. Avec un cri, l’Olkhunut ramena le bras en arrière et sa douleur se
transforma
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