Le loup des plaines
instantanément en colère.
— Tu prends un grand risque en venant ici sans tes
féaux, khan des Loups, dit le jeune cavalier à la tunique. Nous amènes-tu un
autre de tes fils pour que les Olkhunuts en fassent un homme ?
Yesugei se tourna vers Temüdjin avec cette même lueur
étrange dans les yeux.
— Voici mon fils, Temüdjin. Temüdjin, voici ton cousin
Koke. Son père est l’homme que j’ai blessé à la hanche le jour où j’ai
rencontré ta mère.
— Et il boite encore, enchaîna Koke sans sourire.
Sans même qu’il eût besoin de lui en donner l’ordre, apparemment,
son cheval s’approcha de celui du khan et Koke tapota l’épaule de Yesugei. Le
khan se laissa faire, bien que sa raideur laissât penser qu’il eût pu réagir
autrement. Les autres guerriers se calmèrent tandis que Koke s’éloignait. Il
avait montré qu’il n’avait pas peur du khan et Yesugei avait accepté de
reconnaître qu’il ne régnait pas là où les Olkhunuts plantaient leurs tentes.
— Vous devez avoir faim, reprit Koke. Les chasseurs ont
rapporté ce matin des marmottes de printemps bien grasses. Mangerez-vous avec
nous ?
— Oui, répondit Yesugei pour son fils et lui.
Ils étaient désormais protégés par les lois de l’hospitalité
et Yesugei perdit la raideur suggérant qu’il aurait préféré avoir un sabre en
main. Sa dague était retournée sous son deel doublé de fourrure. Temüdjin,
lui, était anéanti. Il n’avait pas imaginé qu’il se sentirait aussi seul parmi
des étrangers et, le temps qu’ils parviennent aux premières tentes des
Olkhunuts, il garda les yeux rivés sur son père, redoutant déjà le moment où il
l’abandonnerait pour rentrer chez lui.
Les yourtes des Olkhunuts étaient d’un gris-blanc différent
de celles que Temüdjin connaissait. Leurs chevaux, parqués à proximité dans de
vastes corrals, étaient trop nombreux pour qu’il pût les compter. Les bœufs, les
chèvres et les moutons paissant sur toutes les hauteurs environnantes
indiquaient que les Olkhunuts étaient prospères et, comme l’avait souligné
Yesugei, fort nombreux. Temüdjin vit des garçons de l’âge de ses frères se
poursuivre à la lisière du camp. Armé d’un petit arc, chacun d’eux décochait
des traits dans le sol en alternant cris et jurons. C’était étrange et il
aurait voulu que Kachium et Khasar soient avec lui.
Son cousin Koke sauta à terre, confia les rênes de son
cheval à une femme menue au visage ridé comme une feuille. Temüdjin et Yesugei
mirent pied à terre en même temps et un Olkhunut emmena leurs montures pour les
faire boire et manger. Les autres cavaliers s’égaillèrent dans le camp, retournant
à leurs tentes ou bavardant en groupes. La visite d’étrangers n’était pas chose
courante et Temüdjin sentit des centaines d’yeux sur lui tandis que Koke, ouvrant
la marche, conduisait les deux Loups à travers les siens.
Mécontent d’être contraint de marcher derrière le jeune
homme, Yesugei ralentit, s’arrêta pour examiner les nœuds décoratifs de la
tente d’une famille de rang inférieur. Koke en fut réduit à attendre ses hôtes
pour ne pas arriver sans eux. Temüdjin eut envie d’applaudir la manière subtile
dont son père avait fait tourner à son avantage le petit jeu du statut. Au lieu
de hâter le pas derrière Koke, ils avaient transformé le trajet en visite du camp.
Yesugei parla même à une ou deux personnes mais sans poser de questions pour
lesquelles il n’aurait peut-être pas obtenu de réponses, se contentant d’un
compliment ou d’une simple remarque. Les Olkhunuts fixaient les deux Loups et Temüdjin
devinait que son père savourait cet instant de tension autant qu’une bataille.
Lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin devant une tente à la portière
d’un bleu vif, Koke était agacé mais n’aurait su dire exactement pourquoi.
— Ton père va bien ? lui demanda Yesugei.
Le jeune guerrier dut se retourner au moment où il se
baissait pour entrer.
— Il est plus fort que jamais, répondit-il.
— Dis-lui que je suis ici, le pria Yesugei d’un ton
affable.
Koke rougit légèrement avant de disparaître dans la pénombre.
— Observe les règles de la courtoisie quand nous
entrerons, murmura le khan à son fils. Ce ne sont pas les familles que tu
connais. On remarquera tes moindres manquements et on s’en gaussera.
— Je comprends, répondit Temüdjin, remuant à peine les
lèvres. Quel
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