Le loup des plaines
voulu la même
chose que ses jeunes frères : que sa mère le prenne dans ses bras et règle
tous leurs problèmes. Mais il savait qu’il devait au contraire être fort, pour
elle et pour ses frères. Il était sûr d’une chose : ils survivraient. Un
jour, il retrouverait Eeluk, il le tuerait et arracherait à ses doigts morts l’épée
de Yesugei. Cette pensée resta avec lui jusqu’à ce qu’il s’endorme.
Ils furent tous debout dès qu’il fit assez clair pour que
chacun puisse voir les visages sales des autres. Les yeux bouffis d’épuisement,
Hoelun rassembla ses enfants autour d’elle, fit passer de main en main leur
unique gourde d’eau. Le bébé s’agitait, les vêtements déjà souillés. Ils n’avaient
pas de quoi le changer et l’enfant se mit à vagir, le visage écarlate, parti
pour une crise de larmes qui semblait ne jamais devoir faiblir. Hoelun ne
pouvait qu’être sourde aux pleurs du nouveau-né, qui dans sa détresse refusa
plusieurs fois le sein. Finalement, même sa patience de mère fut épuisée et
elle laissa son sein retomber tandis que l’enfant, les poings crispés, rugissait
vers le ciel.
— Si nous voulons survivre, nous devons trouver un
endroit sec et nous organiser pour pêcher et chasser, dit-elle. Montrez ce que
vous avez sur vous, que chacun puisse le voir.
Remarquant que Bekter hésitait, elle lui lança :
— Ne garde rien pour toi. Nous serons tous morts avant
la prochaine lune si nous ne pouvons ni chasser ni nous réchauffer.
À la lumière du jour, il fut plus facile de trouver un
endroit où la couche d’aiguilles de pin était simplement humide. Hoelun défit
son deel en frissonnant. Tous virent sur son flanc la traînée brune, là
où leur petite sœur avait vidé ses boyaux pendant la nuit. L’odeur les
enveloppa et Khasar porta une main à son visage. Hoelun les ignora, la bouche
tirée en une ligne mince. Temüdjin devina qu’elle contenait à grand-peine son
irritation tandis qu’elle étendait le vêtement sur le sol. Doucement, elle
allongea sa fille sur le deel et le mouvement fit sursauter l’enfant qui,
les yeux noyés de larmes, regarda autour d’elle. Ses frères souffraient de voir
son petit corps trembler.
Bekter tira un couteau de sa ceinture, le posa. Hoelun tâta
la lame de son pouce, eut un hochement de tête approbateur. Puis elle porta les
mains à sa taille pour dénouer une cordelette de crin tressé qu’elle avait dissimulée
sous son deel la veille, quand elle cherchait désespérément tout ce qui
pourrait les aider dans leur épreuve. La corde alla rejoindre les couteaux que
les fils avaient jetés sur le vêtement.
Tout ce que Temüdjin pouvait ajouter à sa dague, c’était la
ceinture, longue et solidement tissée, qui maintenait son deel fermé. Il
ne doutait pas que sa mère lui trouve un usage.
Hoelun tira d’une des poches profondes de son deel une petite boîte en os que tous regardèrent avec fascination. Elle contenait un
morceau d’acier et un silex, qu’elle en sortit avec précaution, respectueusement.
Le coffret jaune était magnifiquement sculpté et Hoelun le caressa de ses
doigts d’un air mélancolique.
— Votre père m’en a fait présent quand nous nous sommes
mariés, dit-elle.
Saisissant une pierre, elle brisa le coffret en morceaux. Chaque
esquille d’os était tranchante comme une lame et elle choisit avec soin les
meilleures, les montra à ses fils.
— Celle-ci fera un hameçon, ces deux-là des pointes de
flèche. Khasar ? Prends la corde et trouve une pierre pour affûter l’hameçon.
Sers-toi d’un couteau pour déterrer des vers et déniche un endroit abrité. Nous
comptons sur ta chance, aujourd’hui.
Le garçon accepta sa part du travail sans faire montre de sa
désinvolture habituelle.
— D’accord, dit-il en enroulant la cordelette autour de
son poing.
— Laisse-moi de quoi faire un collet, réclama sa mère
en se levant. Il nous faut des boyaux et des tendons pour l’arc.
Elle se tourna vers Bekter et Temüdjin, remit à chacun un
morceau d’os tranchant.
— Prenez un couteau, fabriquez un arc en bois de
bouleau. Vous l’avez vu faire suffisamment souvent.
Bekter enfonça la pointe de son esquille dans sa paume pour
en éprouver le mordant.
— Si au moins on avait de la corne, ou du crin de cheval
pour la corde… commença-t-il.
Le regard exaspéré de Hoelun le réduisit au silence.
— Un collet à marmotte ne suffira pas à nous
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