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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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carriole, Pedro lança son cheval au petit trot. La route caillouteuse longeait le fleuve. Plongés dans leurs pensées, secoués par les cahots, les voyageurs se taisaient. L’avenir était une énigme et leur mission semblait impossible à réussir. Un manuscrit hypothétique, un trésor caché…
    Au-dessus d’eux, perché sur son rocher, le village de Setenil abritait le sommeil paisible d’une bande de tueurs lancée à leurs trousses. Devant eux, à cinq heures de cheval environ, Grenade assiégée résistait à Isabelle et Ferdinand. Les Rois Catholiques n’avaient qu’un seul désir : qu’un sang pur abreuve la terre sacrée d’Espagne. Une seule foi, une seule race ! Une épée de Damoclès menaçait juifs et musulmans. Pedro cravacha sa monture.
     
    Arrivé vers minuit, Koldo s’était entretenu avec le prieur du couvent de Santo Domingo, avant de dîner frugalement en compagnie de ses chevaliers. Puis les trois hommes avaient été conduits dans une grande chambre réservée aux hôtes de marque. En réalité cette chambre avait été offerte au bras droit du Grand Inquisiteur d’Andalousie, mais le commandeur avait exigé que l’on rajoute deux matelas pour ses compagnons.
    Bercé par les respirations des dormeurs, Koldo étudiait une carte de la région. D’un geste machinal, il passa ses doigts sur les cicatrices boursouflées qui le défiguraient. Posé sur la table, sous la chandelle, son masque d’argent miroitait comme un bijou. Le traqueur aimait cet objet qui le protégeait des regards tout en effrayant les faibles et les pêcheurs. L’aube se levait. La chasse allait reprendre.
    Où était passée la jeune sorcière ? Avait-elle pris le risque de coucher à Olvera malgré la mauvaise réputation de la cité ? Avait-elle ses entrées chez les contrebandiers ? Il fallait qu’il contacte le maître espion de la reine qui avait infiltré la bande de Tio Pepe. Cet homme naviguait dans toutes les sphères de la société, côtoyait les nobles, les bourgeois, les renégats, les marchands, les juifs, les musulmans, les marranes, les brigands. Un caméléon sans états d’âme entièrement dévoué à sa souveraine Isabelle de Castille. Si une communauté protégeait la fugitive, l’espion le saurait.
    Koldo s’habillait quand on frappa discrètement à sa porte. Intrigué par cette visite inattendue, il alla ouvrir. Un vieux moine décharné se glissa furtivement dans la chambre. En voyant sa figure défigurée par les scarifications, il blêmit et recula de quelques pas. Encore un pleutre qui avait passé toute sa vie dans l’abri confortable d’un couvent. Tout chez cet homme le dégoûtait, une anguille hypocrite aux yeux fuyants, au menton inexistant, aux chairs molles, mais il savait que ce genre de vieillard rendait de grands services à l’Inquisition. Mieux valait écouter ce qu’il avait à dire. Car son flair ne le trompait jamais, ce sale bonhomme venait dénoncer quelqu’un. Un confrère, un membre de la communauté, un bourgeois de la cité.
    Il l’apostropha avec rudesse :
    — Je suis sûr que vous n’êtes pas venu me déranger à l’aube sans raison. Je vous écoute.
    — Le prieur vous a menti Excellence ! La sorcière rousse que vous recherchez est ici. Elle est arrivée hier après vêpres avec un mercenaire et une jeune musulmane déguisée en chrétienne. Un châle cachait les cheveux de la juive, mais j’ai reconnu la bague de l’infidèle Tchalaï de Luz à son doigt.
    — Comment la connaissais-tu ?
    — L’abbé était son ami et lui permettait de venir à l’hospice soigner les malades. Malgré l’interdiction de l’Inquisition.
    Furieux d’avoir été berné par l’accueil souriant du prieur, un homme dont il n’avait aucune raison de se méfier car il faisait partie de la famille Guzman de Jerez, le grand noir passa sa colère sur son visiteur. Ses énormes mains saisirent le moine aux épaules et le secouèrent comme un enfant désobéissant :
    — En ne les dénonçant pas, et en laissant une impure soigner des chrétiens, tu t’es rendu complice de leurs actes. Tu pourrais le payer de ta vie. Où sont-ils ?
    Grimaçant de douleur et de peur sous les doigts du chevalier qui s’enfonçaient dans ses chairs, incapable de répondre, l’homme s’étouffait. Réveillés par ses couinements, les dormeurs se précipitèrent sur leur chef et lui firent lâcher prise. Le vieillard s’empressa de dire, entre deux

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