Le Manuscrit de Grenade
d’un pas martial. Myrin saisit la main de sa jeune amie et le suivit.
Soudain, derrière les trônes, elle aperçut deux silhouettes en grande conversation : le Grand Inquisiteur d’Andalousie et son chien de chasse, le guerrier noir au masque d’argent.
Les nerfs tendus comme les cordes d’une harpe, Myrin prit conscience que le temps était venu. Pense à ta mission, lui souffla une voix familière, celle de la vieille Bibi. Les informations que lui avait transmises le livre trouvé dans la bibliothèque de l’Aggarttha lui revinrent en mémoire.
10
La Fuite
D EPUIS SON ARRIVÉE AU CAMP DE S ANTA F É , Isabeau avait un mauvais pressentiment. Sa rencontre fortuite avec le maître d’armes l’avait rassurée. C’était un signe positif. Elle n’avait pas eu l’opportunité de lui expliquer la situation, mais au moins ils ne risquaient plus de se trahir mutuellement.
Et voilà qu’en présence des souverains, alors que tout s’annonçait pour le mieux, le grand papillon avait fait son apparition. Tout à coup, le porteur de mauvaises nouvelles s’envola pour s’immobiliser au-dessus de deux personnages qui n’auraient pas dû se trouver là.
Elle pensa aussitôt à ses amis. En se présentant devant les souverains, ils découvriraient la présence d’Alonso Jimenez et de Koldo. Ils ne couraient aucun danger, du moins jusqu’à la découverte du manuscrit, mais cela, ils l’ignoraient. Les connaissant, elle eut peur qu’ils n’accomplissent un acte désespéré. Elle hésita, puis décida de prendre le risque. Après tout Manuel avait ordre d’infiltrer le petit groupe. Se penchant vers lui, elle chuchota.
— N’est-ce pas Pedro, l’homme de la taverne, en compagnie de sa femme et de sa fille ? Ce sont les personnes dont le vieux moine nous a parlé, n’est-ce pas ? Les fugitifs recherchés par l’Inquisition, ceux dont vous devez gagner la confiance ?
Il lui lança un coup d’œil en coin où perçait une lueur d’admiration :
— Diantre, tu es décidément un jeune homme surprenant. Œil de lynx et mémoire d’éléphant, sans parler de ta maîtrise des lames courtes. Tu as raison, ce sont eux.
— On dirait que votre piège a fonctionné.
— Une chance, cette rencontre fortuite avec le maître d’armes. Il nous sera plus facile de renouer le contact. Après la veillée, nous ferons plus ample connaissance.
— Je trouve étrange que Koldo soit revenu.
Elle le sentit se raidir à ses côtés. Ainsi, comme elle le pensait, il ne les avait pas vus. Se penchant vers lui, elle chuchota :
— Dissimulé derrière le fauteuil de la reine. Qui est l’Inquisiteur à ses côtés ? Vous le connaissez ?
— Très bien, hélas ! Le Grand Inquisiteur d’Andalousie est un homme impatient. J’ai peur qu’il ne veuille interroger Myrin sans attendre.
— Ce serait dommage. J’aimais assez l’idée d’une chasse au trésor.
— Je vais te confier ta première mission. Pendant que je fais diversion, rejoins nos trois fugitifs et pars avec eux.
Elle ne s’attendait pas à cette proposition et son cœur s’emballa. L’idée de partir sans lui la désorientait. Elle n’avait pas envie de le quitter. Puis elle se rappela que c’était un espion. L’occasion de le semer était inespérée ; l’occasion aussi de prévenir ses amis du piège tendu.
— Et vous ?
À sa grande honte, sa voix chevrotait. Il dut sans apercevoir car pour la première fois il lui caressa la joue d’un geste presque tendre :
— Si je ne vous rejoins pas en chemin, rendez-vous à Grenade sur le pont des Tanneurs demain à midi.
En un clin d’œil, l’hidalgo se transforma en grand d’Espagne, un mélange de grâce et de fierté ombrageuse, très intimidant pour les courtisans qui n’appartenaient pas à ce cercle restreint et tout-puissant. Sortant de la poche de son pourpoint en velours noir une petite bible enluminée par des artistes byzantins, il fendit la foule pour se rapprocher de sa suzeraine.
Tout naturellement, les invités s’écartèrent pour lui faire une haie d’honneur. Il bouscula Pedro et ses compagnes, les clouant sur place de son regard arrogant, puis les dépassa pour se prosterner devant son illustre cousine.
Surpris par la présence du Grand Inquisiteur, et conscient du danger, Pedro fut soulagé que l’inconnu de la taverne le forçât à s’arrêter. Il avait souvent côtoyé le confesseur de doña Maria. Celui-ci le reconnaîtrait au
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