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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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son sycophante se renfrogner, le grand d’Espagne s’empressa de s’incliner cérémonieusement, puis répondit en arabe :
    — Que la bénédiction du Tout Puissant vous accompagne partout et toujours. C’est un plaisir et un honneur pour moi de franchir cette Porte de Justice qui est de toute beauté.
    Son compliment lui valut un léger signe de tête et un sourire poli :
    — Aussi belle que sa légende. Elle affirme que le roi maure qui en a commencé la construction avait passé un pacte avec Khider le Vert.
    Bien qu’il sache de quel personnage merveilleux parlait le vizir, don Manuel, en fin politique au courant des usages, s’empressa de demander :
    — Quel est ce prince si puissant qu’un chef de guerre éclairé comme Muhammad ben Yussuf ben Nasr, fondateur de la noble dynastie des Nasrides, et ami des Castillans, a passé un accord avec lui ?
    — Il ne s’agit pas d’un prince, mais d’un initié qui incarne la providence divine. Permettez-moi de vous raconter une histoire le concernant. Un jour, alors qu’il cheminait dans le désert un poisson séché à la main, il arriva dans une oasis arrosée par une grande et belle source ombragée. Son eau avait la couleur des palmes qui s’agitaient mollement dans la brise légère. Dans sa hâte de se désaltérer, il laissa tomber son repas dans l’eau turquoise et à sa grande surprise, le poisson reprit vie. Sans hésiter, l’homme se baigna alors dans l’onde bienfaisante. C’est ainsi que son manteau prit une teinte verdoyante et qu’Al-Khider devint immortel. La légende dit que s’il s’assied sur une fourrure blanche, elle verdit. Vous aurez compris le sens de cette métaphore : la fourrure blanche représente la terre desséchée qui se couvre de végétation. Ce saint homme, patron des voyageurs, parcourt le monde. Si un jour, vous le rencontrez sur votre route, rappelez-vous de ne jamais lui poser de questions, mais écoutez ses conseils. Sous ses paroles en apparence absurdes, il indique le chemin de la vérité.
    — Est-il indiscret de vous demander quel était leur pacte ?
    — Sur la clé de voûte du premier porche est gravée une main, paume ouverte, doigts joints. Sur le linteau de la deuxième porte que nous allons franchir, il y a une clé sculptée. Un charme protégera la forteresse jusqu’au jour où la main se saisira de la clé… Le Premier ministre de Boabdil s’arrêta quelques secondes, puis reprit : alors la destinée de Grenade s’accomplira sous le sceau de l’homme vert.
    — Superstitions d’un autre âge maugréa Alonso Jimenez qui jusque-là avait été d’une discrétion exemplaire.
    Serrant les mâchoires, don Manuel vit du coin de l’œil le regard surpris du vizir qui examinait son compagnon. Son visage resta impassible et c’est d’une voix onctueuse qu’il rétorqua :
    — Il me semble que votre Christ s’exprimait aussi par paraboles. Comme vous le savez certainement, la main est l’emblème de notre doctrine religieuse. Les cinq doigts représentent les cinq préceptes fondamentaux : l’unité de Dieu, la prière, l’aumône, le jeûne et le pèlerinage à La Mecque. Quant à la clé, c’est le blason de la dynastie des Nasrides dont descend notre roi actuel, Mohammad az-Zughbî, que vous appelez Boabdil. Aucun véritable croyant ne s’attend à ce que la main s’empare de la clé. Mais notre roi, quand il partira, emportera avec lui la clé et la main. Métaphoriquement, bien sûr.
    Amusé par la leçon, don Manuel esquissa un sourire vite réprimé. Il ne tenait pas à indisposer ses interlocuteurs.
    L’heure de l’audience approchait ; leur hôte les entraîna dans un long couloir, puis ils sortirent en plein air sur un étroit sentier qui grimpait le long de la muraille pour déboucher sur la place des Bassins, en réalité de grands réservoirs d’eau de pluie taillés dans la roche. L’esplanade bordée d’un côté par les palais des rois maures, de l’autre par la muraille d’enceinte, se terminait par l’entrée de la médina. Don Manuel s’arrêta un bref instant, perturbé par une impression étrange. Quelque chose clochait. La place fourmillait de monde, cavaliers sur leurs montures, porteurs d’eau, marchands avec leurs ânes, livreurs de glace vive, serviteurs, passants, mais l’atmosphère avait changé. Les vendeurs ne vantaient plus à tue-tête les bienfaits de leurs marchandises, les badauds ne s’interpellaient plus d’un bout à

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