Le Maréchal Berthier
particulièrement inquiet sur le sort de Junot au Portugal et de Dupont en Andalousie. Depuis le commencement de l'insurrection, les Espagnols qui flanquaient Junot au nord et au sud avaient abandonné leurs positions pour rentrer en Espagne et se mettre aux ordres des juntes insurrectionnelles qui se créaient un peu partout. Comme les Portugais commençaient eux aussi à se révolter, les communications entre Junot et le quartier général devenaient de plus en plus aléatoires. Certes, Junot tenait solidement Lisbonne et ses environs mais avait eu le tort d'envoyer des troupes occuper les places d'Almeida et d'Elvas, carrefours importants qui affaiblissaient d'autant son corps de bataille.
Quant à Dupont, il s'était hardiment avancé en Andalousie pour se porter au secours de l'amiral Rossily et de ses marins qui, avec quelques vaisseaux français rescapés de Trafalgar, mouillait dans le port de Cadix. En agissant de la sorte, il n'avait fait que se conformer à ses instructions. Il campait sur les bords du Guadalquivir et se rendant compte que ses communications étaient coupées attendait de voir comment évoluerait la situation pour juger de quelle manière il manoeuvrerait. Mais assez sagement il avait décidé pour le moment de ne pas pousser plus avant en direction de Cadix.
Or, pendant ce temps à Bayonne, un matin où à son habitude il s'était rendu chez Napoléon, celui-ci découvrit un Berthier complètement désemparé qui déclara tout de go :
— « Il est mort !
Passablement étonné, l'empereur demanda :
— « Et qui ?
— « Son mari !
— « Qui, vous dis-je ?
— « Monsieur Visconti. J'ai manqué mon bonheur ! Pourquoi me suis-je déjà marié ? »
C'est du moins de cette manière que Mlle Ducrest l'a raconté dans ses mémoires après que Joséphine lui eut rapporté la scène.
Napoléon, assez gêné parce qu'il était pour beaucoup dans ce mariage, entreprit de consoler son chef d'état-major davantage en ami qu'en souverain. Mais, dans les jours qui suivirent Berthier tomba malade, se cloîtra dans la petite maison qu'il occupait à un kilomètre de la résidence de Napoléon, s'abandonna au désespoir et ce fut Napoléon qui se crut obligé de venir lui rendre visite quotidiennement. Néanmoins la gravité de la situation l'obligea à prendre sur lui et il ne tarda pas à se remettre au travail. Lorsque l'empereur quitta Bayonne, le 21 juillet, Berthier partit avec lui. Ni l'un ni l'autre ne savaient et ne pouvaient savoir que Dupont avait capitulé en rase campagne, abandonné par son régiment suisse dans des conditions étonnantes, car celui-ci avait mis bas les armes en découvrant que des compatriotes combattaient aux côtés des rebelles, dont la majorité des troupes était composée de conscrits à bout de forces. Ses adversaires, il est vrai, étaient deux fois et demie plus nombreux que les siens.
Berthier apprit la nouvelle, le 2 août, alors qu'en compagnie de Napoléon, il arrivait à Bordeaux. Là, il fut témoin de la colère de l'empereur qui accabla le malheureux Dupont alors que lui, Napoléon, était en grande partie responsable pour l'avoir chargé d'une mission difficile sans lui en donner les moyens. La situation déjà inquiétante devint plus sérieuse encore lorsque Joseph, nouveau roi d'Espagne, pris d'une panique que rien ne justifiait, évacua Madrid et que les Anglais débarquèrent au Portugal. Tous ces faits additionnés montraient que Napoléon pouvait commettre des erreurs de stratégie et d'appréciation. En particulier, le major général connaissait le peu de valeur des troupes qui avaient été envoyées dans la péninsule. Mais, aux yeux de l'Europe qui voyait pour la première fois l'Empire français mis en échec, le distinguo importait peu. Affectant de considérer l'affaire de Baylen (lieu de la capitulation de Dupont) comme un incident sans importance, Napoléon, tout en accablant ce général, poursuivit son voyage dans le sud-ouest de la France. Tout le monde trouva facile de faire de Dupont un bouc émissaire et Berthier fit comme les autres.
Cependant, au Portugal, la position de Junot devenait de jour en jour plus critique. Les Anglais avaient rassemblé à Cork en Irlande un corps expéditionnaire de 11 000 hommes, destiné à la conquête du Venezuela. Sur les conseils de son commandant, Sir Arthur Wellesley, le gouvernement britannique avait pris le risque de l'envoyer dans la péninsule Ibérique, ce qui semblait d'une
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