Le maréchal Ney
Mais il fut incapable de préciser ce à quoi l’empereur le destinait, à supposer que ce dernier ait eu une idée sur la question.
Étant parti si précipitamment de chez lui qu’il n’avait pas eu le temps d’assembler ses équipages, Ney dut réquisitionner une carriole de paysan le lendemain. C’est dans ce véhicule qu’il atteignit Beaumont, où il trouva au lit son camarade Mortier, immobilisé par une crise de sciatique qui allait l’y clouer pendant toute la campagne. Sans difficulté, son ami accepta de vendre à Ney deux chevaux, grâce auxquels il acquit un minimum de mobilité. Ce même soir, il revit Napoléon mi-figue, mi-raisin, qui en guise d’accueil lui jeta à la figure que Bourmont — « votre protégé dont vous me répondiez sur l’honneur » — venait de déserter. Ney n’était pour rien dans la recommandation du général, qui était venue de Gérard et de Davout. Lui-même ne l’avait plus revu depuis Lons-le-Saunier.
Napoléon oublia aussitôt l’incident, pour lui annoncer qu’il devait prendre sur-le-champ le commandement d’un groupe formé des corps d’armée de Drouet d’Erlon et de Reille. Son objectif était le carrefour dit des Quatre-Bras, probablement déjà occupé par les Anglais. De là, il devrait refouler sur sa droite les Prussiens vers Namur s’ils tentaient d’opérer leur jonction avec les Britanniques, et ceux-ci sur Bruxelles d’où on pourrait sans doute les pousser à la mer. Très content, Ney partit sur-le-champ, ramassa au passage le corps de Reille et marcha sans hésiter sur les Quatre-Bras qui n’étaient tenus que par de faibles effectifs ennemis.
Il connaissait lui aussi le pays, où il avait guerroyé sous la Révolution. Sans coup férir, il atteignit la position et l’enleva avec son avant-garde. Cependant ses deux corps d’armée, qui auraient dû suivre, n’arrivaient pas. Entendant une canonnade sur sa droite, ne recevant aucun renseignement, il s’estima trop en pointe avec des moyens insuffisants. Il recula alors jusqu’à ce qu’il rencontrât enfin Reille. Comme la nuit tombait, les deux généraux se mirent d’accord pour interrompre la marche en avant et faire bivouaquer les troupes. Ney, constatant que Drouet d’Erlon n’arrivait toujours pas, commença à s’impatienter.
Le 16 au matin, parvint un ordre de Napoléon qui semblait ne pas avoir une idée nette de la situation. Il confirmait ses instructions de la veille, mais Ney ne bougea pas. Il attendait pour attaquer d’avoir ses deux corps d’armée sous la main, d’autant que, pendant la nuit, les Hollando-Belges s’étaient installés au carrefour et l’avaient légèrement fortifié. Toute la matinée s’écoula dans l’expectative. Ney multipliait les estafettes chargées de presser Drouet d’Erlon. Au lieu de ce corps d’armée, ce fut un aide de camp de l’empereur qui se présenta au début de l’après-midi. Napoléon s’étonnait de ne pas recevoir de nouvelles et de ne pas entendre le bruit de la bataille. Ney reçut fort mal l’officier et plus mal encore la mercuriale de son souverain. Attaquer, fit-il remarquer en substance, était de la folie. Il ne disposait que de la moitié de ses forces et son artillerie n’était pas arrivée.
Retourné auprès de l’empereur, qui ne voulait pas voir la réalité, l’aide de camp fut aussi mal accueilli par le souverain que par le maréchal. L’empereur lui signifia de repartir ordonner à Ney de se porter immédiatement en avant. « Dites bien au maréchal que le sort de la France est entre ses mains », précisa-t-il. Grandiloquence qui n’avait aucun sens.
Cette fois, quoiqu’il jugeât toujours ses ordres inexécutables, Ney attaqua et enleva la ferme des Quatre-Bras. Mais en face de lui, il avait à présent la plus grosse partie de l’armée anglaise, dont Wellington venait de prendre lui-même le commandement. Ses ordres se résumaient à un mot : « Tenir. » Ney, qui depuis l’Espagne connaissait la puissance de feu de l’infanterie britannique, tenta néanmoins de prendre le carrefour et n’y parvint pas. Ses hommes furent refoulés sur leur ligne de départ. Il comprit alors que s’obstiner dans de telles conditions conduirait à un massacre et, une fois de plus, il fit demander à Drouet d’Erlon de se hâter pour parachever une victoire qu’il sentait à portée de main. Ce fut pour apprendre que sur un ordre de Napoléon dont on avait omis de le tenir
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