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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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importantes ! répliqua le père Grésil, adoucissant d’un sourire la rudesse de sa réplique, elles touchent à la conception que nous nous faisons de l’humanité. Je vous concède, monsieur le duc, qu’elles sont démesurées mais je vous prédis, hélas ! qu’elles le seront demain bien davantage parce que je ne vois pas ce qui pourrait mettre un terme à l’actuel entraînement des esprits.
    – Pensez-vous à quelque nouvelle guerre de religion ? s’effraya Saint-Simon.
    – Je ne l’exclus nullement, répliqua le prêtre, à moins que chaque camp en vienne à plus de modération.
    – De la modération ! se récria, la joue rougie par la digestion, le chevalier de Thésut qui avait posé son écoutoir sur la table sans perdre le fil de la discussion, tous ceux qui sont ici n’en ont que trop montré !
    – Vous êtes-vous déjà amusé à dénombrer notre petit troupeau ? reprit le père Grésil, nous sommes cent fois moins nombreux que l’armée des molinistes 143 et mille fois moins remuants que les énergumènes quesnellistes qui, contre toute vérité, prétendent continuer la tradition de Port-Royal.
    Le chevalier de Thésut, qui avait déjà arrosé son repas d’une douzaine de verres de meilleurs vins de sa province qu’il était seul à ne pas couper d’eau et qui, à demi dressé, tendait encore haut la main pour qu’un valet le serve, fit de nouveau entendre sa voix éraillée :
    – Voulez-vous mon sentiment, messieurs ?
    Et il enchaîna sans que quiconque eût opiné à la proposition :
    – Eh bien ! je suis du fond du cœur bien plus proche des jansénistes que des jésuites.
    Il sabla d’un grand trait son vin et poursuivit après s’être mouché sourdement dans la nappe :
    – Hors de ce pays les espions de Rome !… Arrière ces magasins de belles paroles que sont les papolâtres et les ultramontains 144 !… Les Anglais ont compris…
    – Ce qui les a fait tomber dans l’hérésie ! trancha l’abbé en foudroyant son frère du regard.
    – Ah, vous ! fulmina le chevalier, on ne sait jamais pour qui vous prêchez, tel jour vous flambez pour les libertés de l’Église de France, tel autre vous répandez des pétales sous les mules du pape.
    – Cela prouve, fit observer Saint-Simon, qu’il n’est pas si facile de concilier des principes opposés. Dans la position où nous sommes, il convient de ménager…
    – Ménager n’est point trahir ! rugit le chevalier en interrompant le duc.
    – Trahir ! répéta l’abbé qui venait de surprendre le regard haineux de son aîné acharné, par-dessus la tablée, à fouiller dans son âme.
    – Trahir, je le maintiens ! s’opiniâtra le vieux soldat en cognant méchamment le manche de corne de son couteau contre le plateau de la table.
    Les convives, quoique accoutumés aux folies des Thésut, se regardèrent avec effroi.
    – Vous avez écrit hier soir en cachette à ce père de La Rue, l’un des plus sacripants jésuites de Paris…
    – C’est un comble, s’épouvanta l’abbé, vous m’espionnez !
    Mais aussitôt, il se prit à sourire comme un enfant satisfait d’une vilenie.
    – Si je lui ai écrit, c’est d’accord avec Son Altesse, et pour lui tendre un piège dont vous verrez bientôt l’effet.
    Le chevalier, mécontent d’avoir manqué son effet, plus furieux encore de se sentir exclu du coup, partit à ronchonner :
    – C’est bien là ce qui s’appelle se sauver au travers de broussailles !
    L’abbé, ravi de la déconvenue de son accusateur, ne voulut pas le lâcher à si bon compte.
    – Et qu’aurais-je à dire, moi, des dangereux rapports que vous entretenez avec la pire crapule quesnelliste ? Ces scélérats, niveleurs, partageux et républicains…
    – Républicain, Dieu merci, ne veut rien dire dans ce royaume, nota Saint-Simon qui voyait monsieur Davignon s’impatienter de la chamaillerie des deux célibataires.
    L’abbé ne parut pas entendre la finesse :
    – J’appelle républicains, moi, ceux qui veulent combattre l’autorité dans l’Église et dans l’État. Je pense à ces curés de Paris qui se servent de l’Église comme d’un levier commode pour faire basculer le monde. Croyez-m’en ! ils sont plus dangereux, ceux qui gangrènent le fruit de l’intérieur, que vos jésuites, bras qu’on peut amputer d’une puissance externe.
    – Je ne suis pas d’accord ! je ne suis pas d’accord ! se récria le chevalier reniflant sourdement et sautant sur sa chaise, vos curés ne

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