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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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pour grand soldat qu’à force de mensonges et de flagorneries. Il est de la pire espèce de capitaines, ceux qui ne cillent pas à envoyer mille hommes à la mort pour pouvoir se gausser d’une ligne de communiqué glorieux. Son quotidien est un tissu de noirceurs. Des mœurs de laquais, un genre de vie sardanapalesque, un goût immodéré pour les plus morveux et les plus sales de ses pages et lorsque, par hasard, il se mêle de l’autre sexe, c’est toujours pour déshonorer des mères de famille, ravir des jeunes filles sans défense, avilir l’innocence… On ne peut imaginer à son rang ni plus grand scélérat, ni nature plus haineuse.
    Victor, saisi d’horreur par le déversement de tout ce fiel, banda son énergie pour interrompre, à force de bégaiements, le flux coléré du duc.
    – On dit qu’il aurait été pour quelque chose dans les troubles qui ont éclaté en Limousin à la fin de l’an passé et qu’il se serait retiré de l’affaire lorsque le roi lui a offert, de façon inespérée, le commandement de l’armée d’Italie.
    – Vous voulez sans doute parler de ces gens qui se sont insurgés contre ce prétendu impôt sur la vie, reprit Saint-Simon, ce que vous me rapportez là me surprend car je m’étais figuré qu’il s’agissait d’une machine des Condé. C’était bien dans le style du duc d’à présent : ni fait, ni à faire, mal construit, calamiteux, sans un iota de finesse… Nos princes, en jetant quelques miches de gros pain aux paysans, se bercent de l’illusion d’être toujours grands féodaux… Quelle pauvre fronde que tout cela !…
    – Mais dans un procès, monsieur le duc, il y a la loi ! hasarda Victor pour revenir à son sujet.
    – Un procès contre Vendôme est ingagnable ! trancha Saint-Simon péremptoire juste au moment où son équipage s’immobilisait en arrière du porche du Palais-Royal.
     
    Payen, l’un des vingt-quatre présidents du Parlement de Paris et l’un des neuf « à mortier 183 », était connu pour ne s’être jamais, en quarante ans de carrière, écarté en prononçant une sentence de l’avis du chancelier en exercice. C’était un vieux garçon, ridé comme pomme en Carême, pourvu par la nature d’un timbre de voix ébréché, obsédé de compenser le désagrément de sa petite taille par des airs arrogants et des rugissements frénétiques. C’est cet histrion-juge qui avait été désigné pour vider le cas de Grandville et l’on appréciera tout le fortuit de cette présidence lorsqu’on saura que Payen se trouvait en entier dans la main des Vendôme pour être, en dehors du parlement, le gouverneur des abbayes du Grand Prieur de France, propre frère du duc. Les gens bien informés pouvaient citer plus de dix procès douteux qui, sous la férule de ce magistrat flexible, s’étaient conclus en un tournemain à l’avantage des bâtards issus de Henri IV. L’audience de ce 2 décembre avait lieu comme en catimini dans une haute salle de l’ancienne résidence royale de la Cité dont les verrières donnaient, à l’est sur l’église Saint-Michel-du-Palais, à l’ouest sur quelques vieilles tours crénelées, rongées par la lèpre des siècles. Des conseillers en hermine et robe d’écarlate, leur chaperon 184 rouge serré sous le bras, sans doute honteux de se trouver là, s’enfonçaient furtivement dans l’ombre des couloirs. Des huissiers en robe boutonnée canalisaient le public qu’on devinait peuplé d’amateurs de macabre et de pauvres hères payés pour faire la claque.
    Lorsque, après deux heures de trépignement dans un petit escalier, Victor put enfin pénétrer dans la salle, le duc de Vendôme, glorieux et suffisant à crever, trônait au banc des ducs, ayant, pour mieux faire son roi, enfoncé par-dessus sa perruque un grand chapeau à plumes. Il s’était fait accompagner du duc de Gesvres, sans doute le plus gâteux et le plus délabré de tous ses pairs, jadis superbe personnage mais qui ne montrait plus alors que le tuf 185 de son ancienne splendeur. Le menton à moitié rasé, les paupières clignotantes, manœuvrant, de sa main décharnée, un immense écoutoir aux allures de bombarde, il ne cessait de répéter :
    – Mais, cristi ! quand pendra-t-on ?
    – Bientôt, je vous le promets, monsieur le duc ! lui répondait par lassitude le cousin du roi pour lors attentif à répondre aux signes des complices qu’il avait apostés au parquet.
    La cour parut à dix heures et, excepté

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