Le marquis des Éperviers
récria ce dernier, lorsque le petit cortège eut disparu, prétendez-vous vraiment m’empêcher de parler ?
– Tu sais ce qu’il t’en coûtera si tu t’obstines, menaça le prêtre.
– Je parlerai si je le veux ! s’opiniâtra Victor.
– Je t’aurai prévenu ! maugréa méchamment le religieux avant de se jeter dans l’église dont on refermait le portail.
Repassant sa figure noire par une porte latérale, il ajouta :
– Par Belzébuth ! tu es pour de bon plus têtu qu’un âne rouge.
Victor demeura pendant tout l’office, assis sur un décrottoir qui lui sciait les fesses, à moudre son dépit.
Au bout d’une heure environ, observant la foule qui s’exhalait à gros bouillons sans voir reparaître le duc et la duchesse, il interrogea un sacritain affairé à chasser quelques poules qui venaient de profiter du mouvement pour entrer dans la nef. Il apprit de lui que le prince et sa suite s’en étaient allés par la cour du presbytère, dès les premières paroles de l’ Ite missa est .
– Voilà un coup de ce satané jésuite ! pensa-t-il avant de retraverser le village en courant.
Il parvint devant le château dont on repoussait la grille pour voir le cortège du prince s’éloigner dans l’allée. Entraîné par la fuite de son regard, il esquissa le mouvement de s’approcher mais les sentinelles en faction croisèrent leurs baïonnettes sous son nez.
Il redescendait tristement, la mort dans l’âme, vers la maison des Lheureux lorsqu’il entendit saboter derrière lui. C’était un gamin sale et morveux, un vrai petit goret, qui, sans paraître le moins du monde hésiter à le reconnaître, se mit à l’accoster bravement.
– Monsieur Victor, cria-t-il, une servante du château m’a chargé de vous remettre ceci !
L’enfant sortit d’un repli de sa pèlerine un papier sans cachet que Victor défroissa pour découvrir l’écriture de Clémire jetée confusément à la mine de plomb. Voici quel en était le texte :
Bagnolet, ce dimanche 1 er février
« Mon tendre ami,
Ne craignez rien pour moi et, quoi que vous puissiez apprendre à mon sujet, conservez-moi votre confiance. Ne vous tourmentez pas, je reste toute à vous et je ne reste qu’à vous. Si vous m’aimez, même si tout devait paraître contraire à la réalisation de nos espérances, vous vous fierez à moi. Je vous supplie de ne rien tenter d’irréparable et d’attendre sans bouger que je me manifeste. C’est la dernière et plus dure épreuve qui nous sera imposée avant l’accomplissement de nos vœux les plus chers.
Votre Clémire qui n’aime que vous. »
– Mon Dieu ! soupira Victor, les yeux dévorés de fièvre, on l’aura forcée à écrire cela…
Assailli par mille pensées incohérentes, il alla s’asseoir sur le perron de la maison sans vie que sa bien-aimée avait désertée. Empruntant d’abord la voie de l’espérance, il tenta de prêter une foi sans bornes aux phrases qu’il venait de lire, puis, raisonnant de nouveau et ne pouvant imaginer ce qui incitait la jeune fille à rester si mystérieuse, il se laissa gagner par un doute harceleur.
Jean-Hercule le retrouva vers midi, au même endroit, n’en finissant pas d’irriter ses tourments à force de réfléchir.
– Votre oncle vous demande de revenir à Paris, lui annonça-t-il, nous examinerons avec lui ce qu’il convient de faire.
– Tenez, lisez ! murmura Victor en tendant la missive de Clémire, je suis certain maintenant qu’on me cache quelque horrible secret.
– Cette lettre est en effet étrange mais je n’y trouve pas de motif de désespérer, indiqua, lorsqu’il eut achevé sa lecture, le vidame, toujours enclin par douceur d’âme à considérer le côté positif des choses.
Victor lui narra alors son entretien avec le jésuite et la façon qu’avait eue celui-ci de l’écarter de la vue des princes.
– Voici, je vous l’accorde, un curieux prestolet ! convint Jean-Hercule.
Ils furent de retour vers deux heures à l’Hôtel Davignon où le conseiller, lorsqu’il sut leur arrivée, quitta son bureau pour les rejoindre.
– Quel écheveau, mon pauvre Victor, depuis que vous êtes ici ! murmura-t-il en étreignant son neveu.
Le billet de Clémire passa de main en main. Il fut examiné en tous sens, chaque mot discuté, pesé, démonté.
– Nous ne pouvons qu’en passer par ce qu’elle nous demande, conclut monsieur Davignon, armons-nous de patience et surtout ne désespérons pas !…
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