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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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sanglades, avec le secret espoir de se trouver à Popincourt avant la fin du bal.
    Victor, assis sur le perron, venait d’enfouir sa tête entre ses genoux.
     
    Nous le retrouvons passé minuit à l’Hôtel Davignon, dans la chambre de Jean-Hercule, grelottant sous une couverture de grosse laine piquée et s’essayant à mouler de ses pieds nus l’arrondi d’une bouillotte de terre.
    – Envolée ! répéta le vidame.
    – Dites plutôt enlevée, rectifia Victor qui happait à petites gorgées un bol de tilleul à la surface duquel se consumait le généreux nappage d’une rasade d’eau-de-vie flambée.
    – La savetière vous l’aurait indiqué ! fit observer Hercule.
    – Elle craint visiblement d’avouer ce qui s’est passé, reprit Victor, c’est sans doute qu’elle connaît l’auteur de ce forfait… Vendôme peut-être, ajouta-t-il sans pouvoir contenir un tremblement.
    – Votre imagination s’échauffe, repartit le vidame, le duc est en Italie depuis bientôt un mois… Et puis on n’enlève plus les gens comme cela de nos jours… Le gros des gens ravis en 1703 se compose de jeunes filles que leurs galants s’obstinent à vouloir dénicher d’un couvent.
    – Ah ! Hercule, je n’ai pas le cœur à rire, se lamenta le malade, je ne parviens pas à m’expliquer cette disparition… Plus je cherche à en trouver la raison et plus je m’inquiète.
    – Nous ne pouvons rien faire à cette heure, conclut le vidame, mais, dès l’aube, je vous le promets, nous retournerons là-bas éclaircir cette ébouriffante affaire.
    Le lendemain, en effet, dès avant le lever du jour et par un froid mordant, sur l’insistante prière de Victor qui n’avait pas dormi, ils remontèrent à Colombes. Le cocher, qui avait dansé mais qui les maudissait secrètement d’avoir été tiré du lit si tôt, les conduisit à fond de train en conservant les yeux mi-clos. Parvenus à leur but, les deux garçons s’escrimèrent chacun leur tour sur la porte du savetier qui, cette fois, ne s’ouvrit pas.
    Pendant que Jean-Hercule redescendait prendre l’avis de monsieur Davignon, Victor, toussant à se faire sauter la tête, errait par les rues du village. Parvenu devant la grille du château de Madame, il se chauffa un moment aux derniers tisons d’un bivouac, observant des officiers vêtus de houppelandes qui dégourdissaient quelques recrues roses et fraîches. Ces garçons encore pleins d’innocence couraient en cercle, un lourd seau d’eau pendu à chaque main. Ils éclaboussaient leurs mollets nus et se tordaient la cheville dans leurs grossiers sabots tandis que les officiers, bien au chaud dans leurs bottes, exultaient bruyamment.
    « Voilà bien ce à quoi j’ai eu le bonheur d’échapper », pensa Victor en contemplant l’ahurissement des jeunes gens ravalés à la position de souffre-douleur.
    Alors qu’il se livrait à ces réflexions hâtives sur l’inanité du gros des exercices militaires, il vit s’avancer dans l’allée principale, sortant du château, une sorte d’aumônier qu’il reconnut aussitôt pour un jésuite. L’homme était hirsute, portant une robe galonnée de crotte séchée et donnant toutes les marques d’éviter farouchement son barbier.
    Dès qu’il fut à portée, les officiers, redoublant leurs rires, se mirent à lui jeter quelques poignées de boue.
    – Cra-cra est de sortie ! hurla un fort en gueule.
    – Merda, merdam, merdae, enchaîna le plus lettré de ces drilles.
    – Je me vengerai ! cria le religieux en ramassant son chapeau plein de mangeures qu’une pierre, lancée dans un paquet de terre, venait de faire tomber.
    Et brandissant du bout de ses mitaines trouées un missel en lambeaux, il se fit menaçant en passant à portée des moqueurs :
    – Je rapporterai, dès ce soir, vos mauvaises actions à Madame !
    – Vilain cafard ! lui répliqua un gaillard aux bacchantes plus raides que des baguettes de tambour, tu pues bien trop ! elle te défendra d’approcher.
    – C’est l’hiver, elle a le nez bouché, ajouta un rouquin en improvisant une masourka burlesque autour du nouveau venu.
    Ce dernier, après s’être contenté de hausser les épaules, pressa le pas pour s’engouffrer entre deux bâtisses en encorbellement dont les toits, en se rejoignant, dessinaient une voûte. Victor se faufila à sa suite dans cette venelle jonchée de bran et de pourriture où quelques orties grièches, friandes de cet opulent magma, parvenaient à prospérer

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