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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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larges plis et de mouchoirs de col à carreaux, se tenant à l’écart, cette cohue était grosse surtout de charretons, gagne-deniers, colporteurs et artisans ambulants, tous affublés d’habits de chie-en-lit et dont les chapeaux en godet s’aplatissaient par-dessus des figures épanouies. Dans ce rameutement se reconnaissaient à leur gréement les besaciers qui gagnaient leur pain tant en marchant qu’en œuvrant : deux gaillards chargés de maigre qui étaient scieurs de long, un gniaf 31 qui portait en sautoir des guirlandes de galoches, un peintre qui allait de château en château, sa toile de lin roulée sur le dos, exécuter le portrait des gens de qualité.
    Le chevalier, qui avait retroussé ses manches, fut pressé de toutes parts. Trente bras se tendirent pour s’essayer à gober le ratafia qu’il distribuait à la ronde, plus dextrement qu’un valet de guinguette.
    – Au roi, Messieurs ! proclama-t-il après que la plupart de ses hôtes eurent déjà sablé.
    Quelques voix grêles et sans chaleur firent écho à son toste.
    – Dites plutôt à nos affaires ! rectifia un tailleur de bois qui courait de ferme en ferme pour fabriquer des jougs neufs et adapter les anciens au cou des bêtes rappariées 32 .
    – Au roi et à nos affaires ! reprit le chevalier trinquant gaiement avec ce Michel-Ange des étables.
    – Elles en ont bien besoin, enchaîna un vilain crapoussin qui dominait assez bien son français, je pousse vers Uzerches, au risque d’être détroussé par les rebelles, une paire de bœufs que je n’ai pu vendre à Brive. Si j’arrive malgré tout à bon port, je trouverai devant ma porte une escouade d’élus 33 , ces détrousseurs non moins redoutables, qui me réclament à ce jour plus de deux ans d’arriérés de tailles… Ne devrais-je pas plutôt demeurer ici, moi à boire et me rouler dans le fossé, mes bœufs à paître en paix l’herbe encore verte de ce ruisseau ?
    L’auteur de ce récit lamentable s’arrêta soudain, dévisageant celui qui régalait avec un air de suspicion.
    – Le roi vous paye, avez-vous dit, ah, mais ! ne seriez-vous pas gabelleur, des fois ?
    – Non point ! protesta le plus énergiquement du monde Carresse, fort peu désireux, alors, d’endosser l’impopularité des collecteurs d’impôts.
    Trente paires d’yeux s’étaient mises à jeter l’éclat froid d’autant de lames nues.
    – Quel est au juste votre état ? demanda un grand gueulard qui s’était avancé pour pousser son haleine fétide sous le nez des voyageurs.
    Le chevalier expliqua en quelques mots comment il traquait les faux nobles. Il eut un franc succès et le soulagement qui prévalait depuis qu’on le savait innocent de gabelles, se mua dans l’instant en sympathie.
    – Pas de quartiers aux gros bis qui n’ont pas le droit de l’être ! hurla le façonnier de jougs.
    – À bas ceux qui se grandifient sur le dos du peuple ! cria un autre en lui faisant écho.
    Un gros rouquin aux dents pleines de brèches fit frémir l’air en ajoutant :
    – C’est déjà honte suffisante de se faire pressurer par les fainéants qui jouissent à bon droit de leurs seigneuries sans qu’on nous en rajoute itou des faux !
    Victor et le chevalier partirent à rire sitôt s’être regardés.
    – Il est aussi des gentilshommes sans denier ni maille 34 , si pauvres qu’ils n’ont même plus un lièvre à assommer, ajouta Carresse, mon ami et moi sommes de ceux-là.
    L’assistance était en joie, elle fit une haie bruyante à ces deux princes de la misère. Un géant à barbe folle hissa sur ses épaules la petite muette, qui, tout heureuse de se voir en si joyeuse compagnie, se mit à distribuer des saluts comme l’aurait pu faire le pape depuis sa chaise gestatoire.
    – Gare ! gare ! criait ce colosse en faisant cascader son bâton ferré pour se frayer un passage.
    – Vivat ! vivat ! reprenaient en chœur tous ces hommes hilares.
    – Il faut gruger les grugeurs ! scandait le rouquin en levant haut son poing velu.
    – Écraser les écraseurs ! renchérissait un bout-de-cul qui s’était mis à danser en faisant tressauter son ventre.
    Les bouviers qui allaient vers Limoges voulurent à toute force placer Victor et le chevalier en tête de leur cortège. On imagine avec quel empressement fut exaucée leur prière et c’est en scaramouches, à la barbe de leurs poursuiveurs, que les héros de la fête accomplirent leur sortie.
    Ce fut bientôt un autre étrange

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