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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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monsieur de Gargilesse, bailli de Limoges, avait par charité repris dans sa maison. Singulière était la blancheur de ses gants lorsqu’on la rapportait au noir de ses joues ombrées de barbe et au gris douteux de la cravate de casimir qui comprimait son cou de bœuf. Ce contraste illustrait assez bien les compromis qui s’instauraient journellement entre la baillive et son mari, elle, pointilleuse au premier chef sur la netteté des mains de ses gens ; lui, tolérant un certain laisser-aller à ceux qui avaient été soldats.
    Dès qu’il eut reconnu qui venait, le domestique se leva.
    – C’est Madame qui va être satisfaite, dit-il en grasseyant.
    – Rien de moins sûr, Joseph, répliqua le chevalier, je parierais même qu’on a fourbi ses armes derrière ce seuil pour nous chanter pouilles.
    L’homme hocha doucement la tête et, exhalant un soupir, fit tournoyer plusieurs fois la bille de son iris sur le fond laiteux de son œil valide. Il voulait de la sorte souligner l’extrême particularité de caractère de celle dont il protégeait la quiétude mais également témoigner, en tant qu’ancien trousseur de jupons, qu’il avait, lui aussi, l’expérience des caprices du beau sexe. D’un air compatissant, avec la mine basse de l’huissier qui règle la pompe d’un convoi funèbre, il fit passer les visiteurs dans une antichambre où des stucateurs 35 travaillaient encore.
     
    Madame de Gargilesse, prévenue de l’arrivée du chevalier par le personnel de ses arrière-cabinets, entra presque aussitôt dans un frou-frou soyeux. Elle portait un minuscule chien de manchon au museau fripé qui disparaissait sous une profusion de freluches et de nœuds.
    – Tout de même ! fit-elle avec un accent de triomphe, je suis satisfaite de vous voir faire les premiers pas…
    Maximilien n’attendit pas la fin de cette sortie pour jouer de sa prunelle ravisseuse et décocher l’une de ses coutumières œillades.
    – Les devoirs de sa charge ont une fois de plus éloigné Tite de Bérénice, murmura-t-il sans même essayer à dissimuler qu’il pouffait.
    La baillive, au fond, à retrouver son chevalier sans s’être humiliée à l’aller relancer, crevait effrontément de joie. Elle n’aurait même rien tant désiré que lui sauter au cou, blottir sa tête au creux de son épaule, toucher ses lèvres qui donnaient tant de volupté aux paroles impertinemment dites et dont elle avait appris depuis longtemps à goûter les baisers brûlants.
    Elle sut cependant se contenir et n’entamer qu’à mi-voix ce rôle de Madame Reproche dont elle avait fourbi les répliques.
    – Ce n’est pas ainsi que vous devriez en user avec l’une de vos plus constantes adulatrices, murmura-t-elle en s’essayant à noircir son œil au bleu d’azur.
    Pour la faire taire, il lui posa un doigt sur la bouche. Il en effleura imperceptiblement le contour puis, avant de pousser Victor devant lui, il fit mine d’en coudre les deux bords l’un à l’autre.
    – Chère Anaïs ! voici monsieur de Gironde, mon compagnon de route plein de cœur et de belles lettres, qui me fait souvenir de qui j’étais il y a vingt ans à peine.
    – Ah ! gloussa-t-elle, trouver jour avec tant d’aplomb à se louanger sous couvert de ses amis, félicitations ! c’est ce qui s’appelle savoir se servir au passage.
    Victor se sentant chaque seconde un peu plus importun entre les deux complices rabibochés, demeurait les bras ballants. Il redoutait sa lourderie lorsqu’il devrait, à son tour, se risquer au baise-main que le chevalier venait d’exécuter avec tant de grâce : il avait vu la belle Anaïs alors presque pâmée et il ne souhaitait pas passer pour moins galant que son aîné. Il se lança donc mais son geste fut brusque et il ne put éviter de couvrir le dessus de main de son hôtesse d’un câlin humide qui la fit tressaillir.
    – Eh ! monsieur de Gironde, comme vous y aller ! pépia-t-elle, mais, passe ! ce frisson n’est pas désagréable.
    Le chevalier, rasséréné par la promptitude de la réconciliation qu’il venait d’opérer, se mit à rire de bon cœur. Son hilarité redoubla même lorsqu’il surprit Victor, rouge de confusion, qui se relevait d’un bond sitôt après s’être assis sans en avoir été prié.
    Madame de Gargilesse glissa enfin sa main au creux de ce bras aimé et retrouvé. Elle se laissa conduire devant la cheminée, empanachée d’un bouquet de résédas et de sainfoin d’Espagne, dans

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