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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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Victor fut livré sans plus de façon qu’un voleur aux mains de grippe-coquins.
    – Mesures grandes et petites ! ordonna méchamment le tailleur avant de faire de grands signes pour rappeler l’attention sur lui.
    Il courut d’abord se tapir dans un angle du mur puis revint aussitôt en sautillant pour se planter au premier plan, roulé dans la cape imaginaire de l’acteur qui tient un rôle à manteau 89 .
    – Apprenez les nouvelles de demain !… Apprenez les nouvelles de la ville ! lança-t-il en frappant le ventre de la plus grosse de toutes les figures du pommeau de sa canne. Messeigneurs, voici le prince de Grande Arnaque !
    – Traduisez d’Armagnac ! souffla le vidame à l’oreille de Victor, ou encore Monsieur le Grand car on nomme ainsi le Grand Écuyer du roi, l’un des personnages les plus considérables de la cour…
    – Il s’est entiché d’une divettina d’opéra, poursuivit maître Pierre, une demoiselle Giboulée, connue dans les bas-fonds pour avoir artistement ratissé plus d’un bourgeois et laissé quelques petits marquis plus essorés que des serpillières. Rien n’est trop beau pour cette godinette 90 … Devinez un peu où l’on vient de lui faire son nid ?
    – Je vous le demande, répliqua le vidame qui avait pris place sur un tabouret dans la position d’un habitué du parterre.
    – Dans un hôtel ! Tout comme une grande dame !… Avec des livrées, des laquais, des armoiries volées à Dieu sait qui, qu’on est allé graver jusque dans sa vaisselle. Je tiens tout cela de ma commère Ninon Pichot, ma consœur en baleines et bustiers, qui n’a jamais vu plus grande cohue de fournisseurs dans l’escalier d’une duchesse. C’est, paraît-il, débauche de housses, de cartons, de fleurs et d’écrins… N’est-ce point un soulagement, messeigneurs, que songer qu’il est encore un pays où, malgré la misère des peuples, des gens trouvent le moyen de perdurer dans l’opulence ?
    Victor, à voir le tailleur circuler entre les mannequins, se déhancher et multiplier les grimaces, éprouvait déjà du mal à garder son sérieux. Il en oubliait le manège des gamins qui manœuvraient ses bras comme les leviers d’une pompe à eau et celui des perruquiers qui venaient de se hisser sur une escabelle pour ajuster au sommet de son crâne un invraisemblable écheveau de filasse.
    – Et savez-vous qui pleure à cette heure ? reprit le maître-garçon en s’approchant du bord de son estrade pour faire semblant de parler a parte … C’est messire d’Antan, ce sacripant, ce ladre, ce scélérat, cette ignominieuse déjection d’une nature viciée !
    Tout en lançant ces imprécations féroces, il s’était retourné pour infliger une rossée à un second mannequin dont l’habit plein de clinquants s’était mis à valser.
    – Attention ! confia le vidame à Victor en profitant de la colère du bonhomme, gardons-nous bien de rire car il s’agit de l’ennemi personnel de maître Pierre, le duc d’Antin… La nature viciée dont il est question n’est autre que madame de Montespan car d’Antin est l’unique fils légitime de l’ancienne favorite… C’est un sot prétentieux, coléreux et sauvage, que la position de ses demi-frères, les bâtards du roi, ne cesse d’enivrer. Maître Pierre le hait pour l’avoir surpris à battre ses valets et prendre un plaisir morbide à les avilir… Mais pourquoi pleure-t-il, votre monsieur d’Antan ? poursuivit-il tout haut en considérant le tailleur qui demeurait haletant au pied de la figure qu’il venait de flageller.
    – Mais parce que la Giboulée était à lui, répondit maître Pierre en continuant de parler bas, il l’avait volée à un fermier général et la tenait sous clefs à Vaugirard dans un vide-bouteilles 91 . Il la faisait garder par une vieille bossue, ma complice en laideur, qui, prenant un jour en pitié ma curiosité d’infirme, a fini, sur mes prières, par tout me découvrir. Le prince de Grande Arnaque connaissait Giboulée ; il s’en était entiché pour l’avoir aperçue à Sceaux chez le duc du Même. Il s’est abouché avec elle en secret et l’a fait enlever par deux ou trois ruffians de son écurie, ceux que la police connaît pour participer d’ordinaire à ses crapuleries. La divette, vous vous en doutez, n’avait pas balancé une seconde entre rester la prisonnière d’un duc aussi méchant qu’avare et être mise sur le pied de grande dame par une crapule dont tout le monde

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