Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
qui
recouvrait alors la baie actuelle du Mont-Saint-Michel. Ce lieu était Sissiac (Scissy),
devenu depuis Saint-Pair-sur-Mer. Ce pieux personnage fut appelé au siège
épiscopal d’Avranches, et il contribua grandement, du côté normand, à l’évangélisation
des campagnes, mission qu’accomplissaient, du côté breton, les Samson de Dol et
les Maklaw (Malo) d’Aleth (futur Saint-Servan). Et c’est ainsi que cette région
située au creux formé par les péninsules du Cotentin et de l’Armorique devint
un foyer d’évangélisation, à la rencontre de deux courants, l’un venu d’Italie,
avec l’influence des disciples de saint Benoît et l’introduction de la fameuse
règle bénédictine, l’autre venu d’Irlande et du Pays de Galles, avec ses
particularismes celtiques et la non moins fameuse règle colombanienne. De la
rencontre de ces deux courants naîtra une nouvelle forme de monachisme propre à
l’extrême Occident. Et cela ne sera pas sans conséquences sur le développement
du culte michaélique.
L’endroit était en effet favorable. Le pays n’est encore, en
ce temps-là, qu’une immense forêt, celle de Sissiac, que surplombent trois
étranges collines : Tombelaine, à l’est, le Mont-Tombe, au centre, le
Mont-Dol, à l’ouest. Plus tard, lorsque, après un cataclysme, la forêt de
Sissiac sera engloutie, les trois buttes demeureront, aussi étranges, aussi
mystérieuses, mais elles domineront des marécages et des sables.
Les noms de ces « monts » sont significatifs. Tombelaine
– qui était peut-être l’appellation primitive du Mont-Saint Michel – contient
le nom – ou le surnom – du dieu solaire gaulois Belenos, le « Brillant »,
qui est une des épithètes de Lug-Mercure. Cela prouve incontestablement l’existence,
au temps du paganisme, d’un culte en l’honneur d’une divinité de lumière. Quant
au terme « Tombe », il provient du celtique tun , « hauteur », « élévation »,
dont la racine indo-européenne a donné également le latin tumba , « tertre », « tombeau ». Le
Mont-Tombe est donc un pléonasme : c’est le Mont-Mont. Le Mont-Dol, enfin,
qui a dû être un sanctuaire mégalithique avant d’être druidique, est le
Mont-Table ( an daol , « la table » en
breton armoricain), appellation parfaitement compréhensible lorsqu’on se rend
compte de la configuration du terrain. Ces trois buttes ont été, de toute
évidence, des endroits sacrés, des nemeton gaulois, c’est-à-dire des projections idéales du ciel sur la terre, des lieux
où se produisent les rapports privilégiés entre le monde des dieux et celui des
humains. On sait que les Celtes ne bâtissaient pas – avant la conquête romaine
– de temples et que leurs prêtres officiaient en pleine nature, dans des
clairières isolées au milieu des forêts ou sur des tertres déjà utilisés aux
époques antérieures. Tombelaine, le Mont-Tombe et le Mont-Dol étaient donc des
lieux destinés à la manifestation du sacré sous toutes ses formes. Et les
alentours, par leur grandiose sauvagerie, prédisposent à la méditation et à l’évocation
des forces surnaturelles. Dans ces conditions, on ne peut guère s’étonner de
voir le culte de l’Archange jaillir du sol, en fonction des pulsions
spiritualistes des ermites.
C’est de l’établissement fondé à Sissiac par saint Pair, que
la vie érémétique va se répandre dans toute la région. Dès le VI e siècle, des ermites, probablement des
disciples de saint Pair, vont venir s’établir sur le Mont-Tombe, où ils furent
peut-être rejoints par des disciples de saint Samson de Dol. Ces ermites vivent
dans des conditions précaires, mais les habitants des villages qui se sont
créés dans les clairières de la forêt les ravitaillent en bois de chauffage et
en venaison. On raconte à ce sujet que, pour ne pas troubler la solitude des
ermites, les paysans leur font parvenir des vivres par un âne, miraculeusement
guidé à travers la forêt jusqu’au Mont-Tombe. On raconte encore qu’un loup
attaqua l’âne et le dévora. Mais, par suite de l’intervention du Ciel – et
pourquoi pas de saint Michel lui-même ? –, le loup dut remplacer sa
victime et assurer le ravitaillement des ermites du Mont-Tombe à partir du
village d’Astériac, devenu depuis Beauvoir, à l’entrée de la digue actuelle qui
relie le Mont au continent. Ces édifiantes légendes prouvent en tout cas qu’il
a existé de tous temps,
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