Le mouton noir

plaire?
    â€” Je les admire déjà, mais c’est plutôt vous qui aurez à vous plaindre de moi. Saurai-je être à la hauteur de vos attentes?
    Elle se leva pour leur servir du vin. Puis, se rasseyant, elle dit vivement:
    â€” Mes attentes ne sont point si grandes qu’il faille en faire tout un plat. Une femme amoureuse attend en retour de son amour un peu d’attention, de la douceur, d’aimables paroles et de tendres caresses. Elle apprécie également les baisers sincères qui la font se donner entièrement et sans arrière-pensées. Saurez-vous me combler de la sorte?
    â€” Je m’y efforcerai, afin de toujours connaître vos faveurs. Mais sachez que je ne suis point parfait et que déjà mon passé est marqué de fautes que je me reproche vivement.
    â€” Puis-je savoir lesquelles?
    â€” Je n’ai pas toujours agi avec franchise et honnêteté. De plus, je sais que mes parents pourraient me reprocher, et avec raison, mon indifférence. J’ai, hélas, été longtemps sans leur donner de nouvelles. Toutefois, il faut attribuer ce manque d’attention à l’insouciance de la jeunesse. Quand j’ai quitté le manoir de mon père avec l’idée de conquérir le monde, j’avais à peine dix-huit ans. La vie s’est vite chargée de me remettre les deux pieds sur terre. Elle m’a appris qu’il faut bien savoir choisir ses amis et ne pas trop se fier aux belles paroles du premier venu.
    â€” À ce que je vois, vous avez appris à la dure. Le monde est rempli d’escrocs dont le seul but est de se servir des autres à leurs fins et dont on ne se méfie pas assez quand on a l’honnêteté inscrite au fond du cœur. Vous aurez remarqué, tout comme moi, que les gens honnêtes ne savent pas imaginer que ceux qu’ils abordent peuvent ne pas l’être. C’est ce qui permet à des êtres indignes de gagner leur confiance et d’en abuser. Ne serait-ce pas ce qui vous est arrivé?
    â€” Vous avez vu juste. Ce fut le malheur de ma vie de jeunesse. Un triste individu s’est bien servi de moi pour ses mauvais desseins et n’a pas manqué de me faire porter ses malversations.
    â€” Est-ce indiscrétion de ma part si je vous demande jusqu’où cela vous a mené?
    â€” Aussi loin que la prison.
    â€” Dont vous êtes sorti depuis peu?
    â€” Il y a un peu plus de deux ans que mon père m’en a tiré en remboursant l’amende salée à laquelle j’avais été condamné.
    â€” Monsieur Perré, ce que vous venez de m’avouer marque de nombreux points en votre faveur.
    â€” Vous m’en voyez ravi. N’en doutez pas, vous avez devant vous un homme sincère qui ne souhaite rien de plus que le bonheur de celle qui voudra bien partager sa vie.
    â€” Ce sont là des propos fort louables et si vous ne me les aviez tenus et que j’avais ensuite appris par d’autres vos fautes, je vous aurais à jamais fermé ma porte. La franchise est la vertu que j’estime le plus. Mais trêve de confessions. Buvons plutôt à l’amitié qui naît entre nous et souhaitons qu’elle nous mène aussi loin qu’ensemble nos pas sauront nous conduire.
    Ils trinquèrent à leur amitié et à leur avenir. Quand Clément se leva pour la quitter, elle s’approcha vivement et, le serrant dans ses bras, l’embrassa tendrement.
    â€” Voilà, dit-elle, les effronteries qu’une jeune veuve peut se permettre.
    â€” Soyez assurée, lui répondit Clément, que ce sont là des effronteries que je saurai toujours apprécier.

Chapitre 14
La découverte
    Au palais, Clément avait à réaliser des copies d’une grande variété de documents: lettres, ordonnances, avis, contrats, etc. Souvent, il ne se donnait pas la peine de se préoccuper vraiment de ce qui y était écrit; il se contentait d’en faire machinalement les copies nécessaires à l’affichage. Mais voilà qu’un beau jour, son attention fut attirée par une ordonnance particulière et, que de simple copiste, il devint soudainement un lecteur attentif.
    L’Intendant du Roi en ce pays ordonne par la présente qu’il soit fait défense au sieur Crespin, à tout marchand et à tout habitant de ce