Le neuvième cercle
d’où deuxième difficulté pour obtenir le silence.
— Notre block était un block de lamentations et, ces lamentations obsédant sans doute le chef de block et ses sous-ordres, Stubedienst, Schreiber, Frisor, il en résultait pour nous, et particulièrement la nuit, des tueries aveugles, frappant à tort et à travers. Et je n’exagère pas en disant que du 22 avril au 27 avril 1945, deux cent cinquante à trois cents détenus furent exécutés. C’est un chiffre minimum que je maintiendrai envers et contre tout.
— Le procédé courant d’extermination fut celui-ci : au hasard, à l’occasion de bruit ou d’un déplacement nocturne aux w.-c. (tonneaux rangés à l’extérieur du block), le chef de block et ses sous-ordres, précipitaient par terre les détenus avant de les assommer à coups de bâton. L’achèvement se faisait de la manière suivante : le détenu étant par terre, assommé, le bâton lui était posé sur le cou et les tortionnaires montaient un pied dessus, de chaque côté, jusqu’au dernier soupir inévitablement proche. Le corps était ensuite tiré dehors et empilé sur le tas derrière le block.
— Ces exécutions se faisaient par séries et presque toujours la nuit. Lorsque les tortionnaires étaient fatigués ou repus plus exactement, fatigués réellement car les coups qu’ils assénaient étaient terribles et toujours dirigés sur la tête, alors le calme revenait au block et nous autres, témoins impuissants, poussions un soupir de soulagement. Chaque soir à l’appel, alors que le Lagerschreiber venait nous compter, nous suppliions le retour au travail, et demandions à manger.
— Je signale ici un incident qui ne peut être passé sous silence : un détenu, russe je crois, qui avait été désigné par Fleicher Karl pour quitter son lit et être tué sur place, refusa de sortir de l’allée et, se cramponnant après les montants du lit, résista un moment aux efforts de ce bandit qui le tirait et le frappait en vain. Ce que voyant, le bandit se saisit d’un seau d’eau bouillante déposé sur le poêle sis derrière lui et en lança le contenu sur le détenu qui, immédiatement, lâcha prise et fut sauvagement tué aussitôt sous nos yeux. Le jeudi soir, à la tombée de la nuit, on rassembla les Juifs présents au block et on les avertit qu’ils partiraient le vendredi matin, 27, pour le travail. De fait, ils partirent le lendemain matin pour une destination inconnue. J’ai appris plus tard, par le docteur Bloch, médecin juif du Revier block 13, que tous ces Juifs avaient été emmenés à Ebensee. Le vendredi 27 avril 1945, au soir, on appelle les Français, Belges et Hollandais et l’on nous informe que nous allons recevoir un colis de la Croix-Rouge. On nous renvoie au lit. Dix minutes plus tard, on nous appelle à nouveau pour nous apprendre la stupéfiante nouvelle, sur laquelle nous ne comptions plus, à savoir notre rapatriement par la Croix-Rouge de Genève.
— À partir de cet instant, nous avons droit à quelques égards. Nous allons aux douches, et obtenons la permission de coucher notre dernière nuit du block 16, du 27 au 28 avril 1945, deux par lits avec une ou deux couvertures. Nous étions quatorze ou quinze rescapés, je ne me souviens plus exactement, étant donné l’état dans lequel nous étions. Le 28 avril au matin, on nous donna une paire de claquettes, un pantalon, une veste et un béret. Nous reçûmes un morceau de pain, de saucisse et un peu de café avant de rejoindre les autres Français du camp pour partir vers Gusen et Mauthausen ensuite.
— Notre cauchemar était fini.
— Le lxxiii 25 avril, à l’appel du matin, les Français sont mis à part. Ils ne partent pas au travail. Nous apprenons que des camions de la Croix-Rouge sont arrivés à Gusen I et que nous allons être libérés. C’était vrai, mais pas pour tous. L’Obermeister Wolfrau, un civil allemand affecté à la Rodt, s’opposa au rapatriement des Français travaillant à l’usine souterraine de Saint-Georgen, et quatorze Français, dont je faisais partie, restèrent au camp. On nous distribua un colis. Un moment de détresse s’empara de nous et nous reprîmes le chemin des tunnels. La discipline était moins dure. Nous sentions qu’un malaise planait et que nos bourreaux ne savaient plus de quel côté il fallait se placer.
— Le 3 mai, j’étais de nuit, personne pour nous commander. L’Obermeister Holzmann se fabriquait une
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