Le Pacte des assassins
–, n’est
qu’un simulacre de dictature totalitaire, une façade peinte en noir derrière
laquelle l’Italie continue de vivre comme elle en a l’habitude depuis des
siècles : dans le désordre, l’improvisation et le cynisme.
Le pire, que personne ne veut envisager, c’est
l’expulsion vers l’Allemagne hitlérienne.
Mais qui pourrait croire que l’Union
soviétique va livrer aux nazis ces camarades communistes qui ont combattu les
Sections d’Assaut et ont dû fuir un Reich qui les a condamnés à mort ?
Lorsqu’elle évoque cette possibilité, la
panique étrangle Julia. Elle se répète que cette hypothèse est absurde, et, puisqu’elle
est italienne, qu’elle demandera à être rapatriée chez elle, en Italie – pays
fasciste, n’est-ce pas ?
Et, tout à coup, le
8 février 1940, après trois jours de train, cette gare et cette voix de l’un
des camarades.
Il crie : « Nous avons dépassé Minsk
et nous continuons en direction de la Pologne ! »
Les nazis sont au bout de cette voie ferrée où
le train vient de s’arrêter et le long de laquelle Julia et ses camarades
marchent, encadrés par les soldats du NKVD.
À quelques centaines de mètres, une gare dont
Julia arrive à lire le nom : Brest-Litovsk, et un pont de chemin de fer
enjambant une rivière. D’un côté la Pologne occupée par les Allemands, de l’autre
celle qui est aux mains des Russes.
Certains des expulsés entourent les soldats du
NKVD, leur disent que les livrer ainsi aux nazis, eux qui sont juifs et
communistes, c’est les condamner à mort. L’Union soviétique peut-elle faire
cela ?
Julia sait que le Loup le peut et le veut :
c’est un présent qu’il offre à la meute noire pour lui prouver sa bonne volonté,
son amitié.
Julia voit un officier du NKVD saluer
cérémonieusement l’officier allemand qui s’est avancé et qui porte l’uniforme
des SS.
Julia voit le Russe sortir de sa sacoche une
feuille de papier.
Il commence à la lire, à égrener les noms.
Elle entend : « Julia
Garelli-Knepper. »
Les soldats du NKVD la poussent vers le pont, vers
l’officier SS.
44.
Durant ses premières années de liberté, de
1945 à 1949, chaque fois que Julia revit cette journée du 8 février 1940, le
désespoir et l’effroi la paralysent.
Qu’elle soit assise devant la fenêtre de sa
chambre, au premier étage du palazzo Garelli, ou bien installée à la terrasse
du café de la piazzetta San Giacomo où luit encore un pâle soleil d’hiver, elle
tremble, se recroqueville, la tête rentrée dans les épaules, comme si elle
voulait disparaître afin de ne pas avoir à traverser ces cinq années et demie
de camp, quand la mort était à chaque seconde prête à frapper ; qu’il
fallait, pour esquiver ses coups, demeurer aux aguets, être accompagnée par la
chance qui, un instant, détournerait l’attention du kapo, du SS, ou bien
réveillerait un peu d’instinct humain chez le médecin du camp qui passait, cravache
à la main, parmi des dizaines de femmes nues dont il inspectait la gorge avant
de les repousser du bout de sa cravache, les déclarant aptes au travail.
Julia grelotte comme
si elle se sentait nue.
Elle ne sait plus qu’elle est libre, qu’elle a
survécu, qu’un jour d’avril 1945, les SS ont disparu des miradors, des postes
de garde, et que les déportées ont pu franchir les portes, se mêler au flot des
réfugiés qui fuyaient devant l’Armée rouge.
Et Julia voulait elle aussi, comme ces
Allemands, éviter de retomber sous l’autorité des Soviétiques qui
retrouveraient sa trace dans les archives du NKVD et de la Loubianka – et elle
serait à nouveau condamnée, déportée.
Et elle ne savait que trop ce que serait sa
vie dans un camp de Sibérie.
Si, à Brest-Litovsk,
le 8 février 1940, elle avait pu imaginer ce qu’elle aurait à subir au camp de Ravensbrück
– dont elle ne soupçonnait même pas l’existence –, elle se serait mise à courir
vers la rambarde du pont et, avant que le SS n’ait pu la rattraper, elle se
serait précipitée dans la rivière pour y mourir.
C’est l’ignorance de ce qui l’attendait durant
plus de cinq années et demie – cela faisait plus de deux mille jours ! – qui
lui avait donné la force de marcher aux côtés du SS, vers les baraquements.
Là, on l’avait interrogée une première fois. Elle
avait répété qu’elle était la comtesse Garelli, italienne, et qu’elle demandait
à être renvoyée
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