Le Pacte des assassins
mêlés
aux politiques imposent leur loi : ils violent, volent, tuent.
Julia rentre au
palazzo Garelli.
Elle est si lasse qu’elle va se coucher sans
pouvoir trouver le sommeil. Elle se gratte fébrilement. Il lui semble que tout
son corps est encore livré à la vermine.
Qui peut savoir, hormis elle, qu’on ne quitte
jamais définitivement l’enfer quand on y a vécu ?
Cependant, elle se calme peu à peu en
caressant, paumes ouvertes, doigts tendus, les draps frais, et l’apaisement, la
joie qu’elle éprouve lui rappellent ce moment où un soldat du NKVD est venu lui
annoncer qu’avec deux autres déportées – des Allemandes –, elle devait quitter
le camp de Karaganda pour Moscou.
Elles s’émerveillent
de l’attention bienveillante que leur manifestent les hommes du NKVD.
On les installe dans un compartiment que ne
ferme aucun grillage. Le train est l’express habituel qui, chaque jour, relie
la Sibérie à Moscou. Des voyageurs passent dans le couloir en riant, comme des
humains vivant dans une vraie vie.
Julia se souvient qu’elle a dû retenir ses
larmes quand l’un des soldats lui a apporté, comme si cela allait de soi, une
boîte d’un kilo de viande de porc et du pain blanc.
Allait-on vraiment la laisser vivre elle aussi
comme un être humain ?
Peu à peu, en dépit de l’angoisse qui perdure
comme une plaie encore ouverte, elle commence à croire presque malgré elle qu’on
va la libérer.
À Moscou, à la
prison de Boutirki, on la traite avec égards ; d’autres Allemandes
détenues, venues de tous les camps et pénitenciers d’URSS, sont rassemblées
dans la même cellule, nourries abondamment. On leur donne des vêtements propres.
On les laisse fumer et chanter. Elles peuvent rester longuement dans la cour.
Julia respire goulûment l’air vif de ce mois
de janvier 1940.
Depuis sa
condamnation en juillet 1938, l’Histoire avait continué à se dérouler : accords
de Munich, le 29 septembre 1938 ; abandon de la Tchécoslovaquie par
Londres et Paris ; et, en mars 1939, les troupes allemandes qui entrent
dans Prague.
Le 23 août, c’est la signature du Pacte
germano-soviétique. Début septembre 1939, la guerre. La Pologne conquise par
les nazis, dépecée entre Berlin et Moscou, cependant qu’à l’ouest, sur le Rhin,
c’est la « drôle de guerre », un front paisible. Hitler assure qu’il
veut la paix.
Et les wagons bourrés de beurre et de blé, les
citernes remplies de pétrole quittent l’URSS pour l’Allemagne nazie.
Moscou, qui a félicité Hitler pour sa rapide
victoire sur la Pologne, veut être le bon, le nécessaire complice.
Et dans les forêts de Katyn les tueurs du NKVD
abattent d’une balle dans la nuque des milliers d’officiers polonais.
Mais cela – comme le monde entier – Julia l’ignore
encore.
Un matin, on la
conduit dans un bureau où siègent des officiers du NKVD.
On lui soumet un texte en russe qu’elle doit
signer. Elle le lit, le relit :
« La condamnation à cinq ans de camp de
rééducation et de travail prononcée contre Julia Garelli-Knepper est
transformée en expulsion immédiate de l’Union soviétique. »
Elle tremble.
Où va-t-on l’expulser ?, interroge-t-elle.
On lui répète qu’elle doit signer, qu’on lui
donnera tous les renseignements plus tard, à elle comme à ses camarades.
Elle murmure que les autres sont allemandes, mais
qu’elle-même est italienne, qu’elle veut être expulsée vers l’Italie.
— Knepper, murmure l’un des officiers du
NKVD.
Julia ose dire et ainsi reconnaître ce qu’elle
a refusé d’admettre : que Heinz Knepper est mort, qu’elle n’est plus que
Julia Garelli, de nationalité italienne.
L’officier du NKVD s’impatiente : elle
doit signer et accepter ainsi la transformation de sa peine en expulsion.
Elle signe. Elle ne tient pas à retourner en
Sibérie.
Julia comme les
autres déportées imaginent qu’on va les expulser vers un pays balte, et, de là,
chacune, chacun – car il y a aussi des hommes dans ce train qui roule vers l’ouest,
communistes allemands qui ont trouvé refuge en URSS après 1933, qui ont été
emprisonnés mais ont survécu à la Grande Terreur – choisira de partir vers un
pays où l’on peut vivre libre : Canada, États-Unis, Angleterre, France…
On rêve.
Julia dit : l’Italie.
Elle y sera protégée par son père et son frère.
Le fascisme italien – Paolo Monelli l’a souvent dit et elle veut le croire
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