Le Pacte des assassins
essoufflé, battant nerveusement des mains, répétant « Allons, allons,
camarades ! »
Julia avait voulu embrasser Vera et Maria, mais
le commandant l’avait tirée en arrière.
— Il attend, avait insisté Gourevitch.
Julia avait imaginé un instant qu’il était
dans la voiture et elle avait à peine effleuré du bout des doigts le visage de
Vera qui pleurait.
Elle avait suivi Gourevitch qui courait dans
les couloirs, mais, soudain, elle était revenue sur ses pas, elle avait enlacé
Vera et Maria, les gardant longuement contre elle, et elle n’avait pu retenir
ses larmes comme si elle n’allait plus jamais les revoir.
Devant l’hôtel, stationnés
l’un derrière l’autre, elle avait vu la limousine et l’un de ces fourgons
cellulaires qu’on appelait les « corbeaux noirs ».
Il n’était pas dans la voiture qui, rideaux
tirés, avait démarré aussitôt, roulant à vive allure par les larges avenues
désertes.
31.
Il était tapi au fond de sa tanière et Julia s’était
immobilisée sur le seuil de cette pièce plongée dans la pénombre que la fumée
de sa pipe rendait encore plus obscure, comme s’il avait voulu se dissimuler
derrière elle.
Julia n’avait distingué son visage qu’au bout
de plusieurs secondes et elle avait pensé qu’il était malade, comme une plante
rabougrie qui ne voit jamais le soleil.
Elle avait été terrorisée d’oser en sa
présence porter un tel jugement, comme s’il avait pu le deviner.
Il lui avait fait signe d’approcher en
bougeant à peine la main gauche, la droite serrant sa pipe.
Elle s’était exécutée et l’odeur de tabac était
devenue si forte qu’elle avait craint de tousser, de ne pouvoir réfréner cette
nausée qui lui envahissait la gorge, la bouche. Mais il y avait pire : il
lui avait semblé qu’elle se couvrait de sueur et qu’il allait s’en apercevoir, comprendre
qu’elle pensait qu’elle pouvait bondir sur lui, qu’elle se souvenait à cet
instant précis de l’exclamation chuchotée par Heinz Knepper – et Thaddeus
Rosenwald avait jadis exprimé la même pensée à Paris – : « Ne me dis
pas qu’il n’y a personne dans ce pays
capable de l’éliminer ! Les Russes ont tué les tsars, ils le tueront bien
aussi… »
Julia avait été
surprise qu’on ne la fouille pas à l’entrée de cette datcha de Kountsevo où
elle était arrivée après une dizaine de minutes de trajet.
En descendant de voiture, elle avait aperçu
les dizaines de gardes en uniforme du NKVD qui entouraient la construction à un
étage, peinte en un vert sombre tirant sur le marron, comme si on avait voulu
qu’elle se fondît avec la forêt de pins qui s’étendait à perte de vue.
On avait contrôlé son passeport, mais aucun
des gardes qui se trouvaient dans le hall n’avait examiné le contenu de son sac
ni n’avait eu un geste pour palper son corps.
Alors qu’elle aurait pu dissimuler une arme.
Et s’asseyant en face de Lui, elle avait
baissé les yeux pour qu’il n’y lise pas qu’elle ne pouvait s’empêcher de se
remémorer ces révolutionnaires, ces jeunes femmes qui avaient jadis attenté à
la vie des tsars.
Mais elle n’avait pas eu l’audace d’imaginer
le geste qui aurait mis fin à la tyrannie qui terrorisait l’Union soviétique. Elle
avait à la fois si peur qu’il ne devine ce qu’elle pensait et elle en concevait
tant de regrets qu’elle s’était mordue les lèvres pour ne pas crier d’effroi et
de remords mêlés.
Il lui avait souri.
— Alors, camarade italienne, avait-il dit,
on se préoccupe du sort de son Allemand ? Comment l’appelles-tu ?
Et, avant qu’elle ait pu répondre, il avait
repris :
— Heinz Knepper ! Pourquoi
veulent-ils tous me tuer ? Pourquoi conspirent-ils tous contre moi ?
Il avait lentement bougé son bras gauche, puis
avait renoncé, le laissant retomber, et c’est son bras droit, sa main tenant la
pipe comme une arme qu’il avait pointé sur Julia Garelli.
— Comprends, camarade Garelli, écoute ce
que je vais te dire, et qui explique tout – tout !
Il s’était interrompu comme pour laisser le
temps à Julia de se concentrer, puis il avait dit en martelant chaque mot :
— Staline, ce n’est pas moi. Le pouvoir
soviétique est Staline.
Il avait mâchonné le tuyau de sa pipe.
— Ils n’ont pas compris que le pouvoir
soviétique, c’est moi, qu’en se dressant contre moi, ils ne sont que des
ennemis du pouvoir.
Il s’était
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