Le Pacte des assassins
n’avait prononcé que quelques mots et elle
s’était mise à trembler, peut-être parce qu’elle avait froid.
Elle était en chemise de nuit, pieds nus. Gourevitch,
le commandant de l’hôtel Lux, ne lui avait pas laissé le temps de s’habiller, lui
répétant :
— Dépêche-toi ! Dépêche-toi, il est
au téléphone. Mais qu’est-ce que tu fais !
Il l’avait poussée hors de la cave, et lorsqu’elle
s’était retournée, au moment de sortir, elle avait vu Vera et Maria Kaminski, hagardes,
affolées, serrées l’une contre l’autre ; et Vera, dodelinant de la tête, disait :
— Tu Lui as écrit, Julia ! Tu Lui as
écrit !
Elle avait couru
derrière Gourevitch dans le couloir, puis dans les escaliers, jusqu’au bureau
du commandant.
Elle avait vu le combiné posé sur la table et
avait hésité à le saisir. Levant les bras, poings serrés, la menaçant et l’implorant
tout à la fois, Gourevitch lui avait, sans prononcer un mot, intimé l’ordre de
répondre.
Elle s’était penchée et avait pris l’appareil,
murmuré qu’elle était Julia Garelli-Knepper, et Il avait toussé – elle avait
imaginé la fumée de sa pipe s’accrochant à sa moustache –, puis avait lâché ces
quatre mots :
— Je t’envoie une limousine.
Elle avait entendu le déclic indiquant qu’il
avait raccroché, mais elle avait gardé encore quelques secondes le combiné
contre son oreille avant de le reposer sur son socle.
Les yeux écarquillés,
Gourevitch l’avait regardée et elle avait répété : « Il m’envoie une
limousine. »
Alors le commandant de l’hôtel Lux avait parlé
de manière si incohérente qu’elle avait été fascinée par le spectacle qu’il
donnait, allant et venant à grands pas dans le bureau, disant qu’il avait
toujours protégé Julia et les autres épouses, alors qu’il aurait pu, qu’il
aurait dû les chasser de l’hôtel, mais elles étaient restées des camarades et
il n’avait pas voulu les savoir à la rue, et ça, elle devait s’en souvenir, mais
il ne demandait rien, il n’avait fait que son devoir de vrai communiste. Il
était heureux que Julia voie le Chef suprême. Quand elle reviendrait, elle
retrouverait sa chambre.
Elle s’était approchée de Gourevitch ; elle
ne tremblait plus.
— Sors Vera et Maria Kaminski de cette
cave où tu nous as fourrées, sors-les de là et installe-les dans une vraie
chambre.
Gourevitch s’était incliné comme un domestique
patelin et obséquieux.
— Naturellement, naturellement, avait-il
acquiescé.
Il y avait déjà pensé plusieurs fois, avait-il
ajouté, mais il avait reçu des ordres de Piatanov, au nom du Komintern, des
agents du NKVD, et Iejov lui-même lui avait dit qu’il fallait traiter les
épouses des traîtres…
Gourevitch s’était interrompu, puis, prenant
sa respiration, il avait repris :
— … comme des chiennes !
— Dis-leur qu’il m’a envoyé une limousine,
avait répliqué Julia en quittant le bureau.
Elle s’était
habillée à la hâte, ne répondant pas à Vera qui, tout en berçant sa fille, la
harcelait de questions, lui prodiguait des conseils :
— Tu ne lui as pas parlé de moi ? Je
te l’avais demandé. Sois toujours sur tes gardes. C’est un loup. Il te renifle.
Il se pourlèche en t’observant. Il joue avec toi. Je l’ai entendu dire que son
plus grand plaisir, c’était de choisir son ennemi, de préparer son coup, d’assouvir
sa vengeance, puis d’aller se coucher. Lech m’a raconté qu’il l’avait vu gifler
de sa main gantée le chef du NKVD de Leningrad, après l’assassinat de Kirov, celui
qu’il appelait son ami et qu’il a fait tuer, Lech en était sûr. Il veut savoir
comment ceux qu’il a fait arrêter résistent à la torture. Chaque jour, il
convoque Blokhine, le bourreau de la Loubianka, et il ne se lasse pas d’entendre
le récit des souffrances de ceux qu’on torture. Il veut que Blokhine lui donne
tous les détails, le nombre de coups de gourdin qu’il a fallu asséner avant que
le malheureux avoue qu’il était un espion allemand, ou anglais, ou un opposant
trotskiste. Il sait que Blokhine frappe, étrangle, déchire à mains nues. Il a ri
quand Blokhine lui a raconté que Zinoviev ou Kamenev, qui avaient été ses
proches, ses alliés, avaient imploré le bourreau en répétant : « Il
nous a promis la vie sauve ! » Julia, ne crois à aucune de ses
promesses, c’est un loup !
Gourevitch était
entré,
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Eis und Dampf: Eine Steampunk-Anthologie (German Edition) Online Lesen
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