Le Pacte des assassins
d’une
politique de réquisitions, d’extermination délibérée par les déportations, les
exécutions, les expulsions, le pillage des récoltes vendues à l’étranger.
Arthur Orwett s’est levé. Il a hésité, puis il
a baisé la main de Julia en lui répétant qu’elle ne devait pas rentrer en
Russie, que ce pays n’était plus qu’un vaste camp de concentration où le
pouvoir était entre les mains des hommes à casquettes vertes, les soldats du
NKVD.
Elle a aussitôt
regretté de l’avoir laissé partir.
Elle est remontée dans sa chambre et elle est
restée longtemps immobile, recroquevillée dans un fauteuil, ses bras serrant
ses jambes repliées contre sa poitrine, comme si elle avait voulu protéger ce
sentiment étrange, irraisonné : l’espérance – mais aussi ce désir qu’Arthur
Orwett avait fait renaître en elle.
Et, soudainement, les mots des prières de l’enfance
avaient empli sa bouche et il avait bien fallu qu’elle les prononce, que ses
lèvres remuent, qu’elle réentende ce murmure du Notre Père, sinon elle
aurait étouffé – et prier ainsi l’apaisait.
Elle avait de cette manière remercié Dieu pour
lui avoir accordé ce regain de vie.
Elle était décidée à rejoindre Arthur Orwett, mais,
elle le jurait, elle n’abandonnerait pas Heinz Knepper. Elle rentrerait à
Moscou. Elle affronterait les tortionnaires et les juges. Elle irait au bout de
son calvaire. Elle accepterait la crucifixion.
Mais, auparavant, elle vivrait cette
résurrection dont elle rendait grâces à Dieu.
Elle s’était levée d’un
bond. Elle avait téléphoné au numéro qu’Orwett lui avait laissé.
Il avait décroché dès la première sonnerie et,
avant qu’elle ait pu prononcer un mot, il avait dit qu’il attendait son appel, qu’il
était sûr qu’elle lui téléphonerait, qu’il allait passer la chercher à l’hôtel.
Elle avait préparé en hâte son sac de voyage
avec ce qui lui était nécessaire pour quelques jours.
Dans le hall de l’hôtel,
elle s’était dirigée vers l’homme qui, depuis son arrivée à Berlin, la suivait
sans même se dissimuler.
Il avait été décontenancé quand elle s’était
adressée à lui. Elle reviendrait, lui avait-elle dit : il n’aurait qu’à l’expliquer
à Sergueï Volkoff : elle avait besoin de liberté. Même lui pouvait
comprendre cela, n’est-ce pas ?
Après, elle serait entre les mains de Dieu.
37.
« Nous n’étions qu’un couple qu’on aurait
pu croire en voyage de noces.
Nos corps, le jour et la nuit, ne pouvaient se
tenir éloignés l’un de l’autre.
Nous lisions, nos bras passés autour de nos cous,
les journaux qu’on déposait chaque matin sur la table rugueuse, dans la véranda
de l’hôtel où nous prenions nos petits déjeuners.
La guerre semblait proche. Nous avions été
emportés depuis plus de vingt ans par les éruptions de ce siècle et nous regardions
la lave se répandre comme si ce fleuve rouge ne nous concernait pas.
Hitler martelait qu’il voulait la liberté pour
les populations allemandes des Sudètes, et sa voix, ses aboiements
remplissaient l’hôtel.
Les clients applaudissaient, le visage illuminé,
tournés vers le poste de radio, puis saluaient, bras levé, en criant “Sieg Heil !”.
Aux murs du bar et de la salle à manger de l’hôtel
étaient accrochés des drapeaux à croix gammée.
À l’aube, des adolescents passaient sur la
route en chantant, martelant le bitume.
De tout cela nous ne parlions pas.
Nous nous aimions avec la frénésie, l’impatience
des naufragés qui jettent dans le brasier tout ce qui peut brûler, parce qu’ils
savent que le navire qui passe au large de leur île est le dernier à s’aventurer
si loin des ports, et qu’ils jouent leur vie.
Alors nous faisions un feu d’enfer, puis nous
marchions enlacés sur la plage.
Le sable avait la même couleur grise que la
Baltique dont les vagues alanguies venaient s’étendre à nos pieds.
« Nous avons
vécu ainsi près de vingt jours, puis deux inspecteurs de la Gestapo, fort
courtois, sont venus nous indiquer que le séjour des étrangers sur le littoral
baltique était désormais interdit, et que nous devions regagner Berlin.
À cet instant même, le feu s’est éteint.
Nos corps se sont éloignés, nos mains séparées.
Un dernier flamboiement au moment de nous
quitter sur le quai de la gare de Berlin.
Nous sommes restés serrés l’un contre l’autre
plusieurs minutes.
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