Le Pacte des assassins
et peut-être vous chargera-t-on, camarade
Garelli, de renouer les liens avec votre général.
Tout à coup, il saisit mon bras et le serre.
— Vous savez que Willy Munzer a déserté ?,
dit-il. Pourquoi le voyez-vous ? Voulez-vous que nous vous réservions le
même sort qu’à lui ? Car il n’échappera pas au châtiment. Il parle, il
marche, il agit, il imagine qu’il est encore vivant…
Sergueï Volkoff me lâche le bras et sourit :
— … mais Willy Munzer est mort, chère
camarade Garelli. C’est son ombre que vous avez rencontrée. Munzer n’est plus
rien. En revanche, il est contagieux. Il ne faut pas côtoyer la mort, Julia, elle
vous enveloppe dans son suaire et vous entraîne avec elle.
Il me raccompagne dans le hall, murmure que je
dois attendre à l’hôtel Prinz Eugen. Le “Centre” décidera de la date de mon
retour et peut-être lui-même aura-t-il la joie de m’accompagner.
« Je rentre à l’hôtel
d’un pas lent, avec la sensation d’être suivie, mais je n’ose même pas me
retourner.
Je souhaite que l’homme dont il me semble
entendre le pas derrière moi s’approche, me tue d’une balle dans la nuque, mette
ainsi fin à ce calvaire qu’il me faut endurer.
Mais on me laisse rejoindre l’hôtel.
Je téléphone aussitôt à Willy Munzer.
— Ils savent tout de toi, de moi, Willy, et
ils vont te tuer.
Il reste un moment silencieux.
— Évidemment, dit-il enfin d’un ton calme.
Qu’as-tu décidé ?
Je ne peux répondre, comme si j’étais devenue
une outre vide, un corps flasque.
— Pars cette nuit même. Prends le train
pour Paris. Ils te tueront aussi, mais ce n’est peut-être pas le pire. Ils te
garderont vivante pour mieux te laisser pourrir.
Je m’accroche à ce mot : “vivante” ;
je dis une nouvelle fois que c’est peut-être le sort qu’ils ont réservé à Heinz
et que je veux le tirer de cette fosse où ils l’ont enfoui. J’imagine un
instant qu’ils nous relégueront dans un village sibérien comme le tsar le
faisait avec ses opposants.
Tous les socialistes révolutionnaires, les
bolcheviks ont connu cela.
— Les derniers tsars étaient des êtres
civilisés !, s’insurge Willy Munzer. Lui, est un barbare et tu le sais, Julia.
« Je pense à
cet Ivan le Terrible dont Il se réclamait, aux boyards menacés dont Il disait
que personne aujourd’hui ne connaissait plus les noms. Alors Il agissait comme
ce tsar, Il assassinait par millions, et les corps anonymes serviraient, imaginait-Il,
de fondations au nouveau régime. Sauf qu’à moi les noms des morts étaient
familiers.
Le dernier : Alexandre Meskine.
Avant lui : Vera et Maria Kaminski.
« J’ai de
nouveau pleuré.
Et je n’ai pas eu la force de refuser de
recevoir cet écrivain et journaliste anglais, Arthur Orwett, dont Willy Munzer
m’assurait que je devais le rencontrer, l’écouter. »
36.
« Ce 15 mai 1938, écrit Julia Garelli
dans son journal, lorsque, après avoir parlé près de quatre heures avec Arthur
Orwett, je me suis retrouvée seule dans la chambre de l’hôtel Prinz Eugen, j’ai
compris ce que signifiait le mot résurrection.
Il m’a semblé que mon corps et mon âme avaient
retrouvé la légèreté, la confiance, voire même l’enthousiasme et l’énergie qui
les habitaient au sortir de l’adolescence, quand j’avais osé à dix-sept ans
accueillir dans ma chambre, dans le palais des Garelli, Heinz, prisonnier
allemand, officier de l’armée autrichienne, évadé, un ennemi, donc.
J’avais à nouveau la même envie de vivre, de
prendre tous les risques, non pour une raison précise, faire triompher un idéal,
sauver Heinz Knepper, mais tout simplement parce que le désir, l’élan, l’espérance
étaient de nouveau en moi.
Il m’avait suffi de croiser le regard d’Arthur
Orwett alors qu’il se tenait debout près de la table du restaurant de l’hôtel
où nous devions déjeuner.
Puis j’avais entendu sa voix. Il avait dit :
— Je connais votre vie peut-être mieux
que vous ne la connaissez, parce que je l’ai étudiée. J’ai pensé à faire de
vous une héroïne du roman auquel je rêve depuis une dizaine d’années et qui
raconterait des vies ressemblant à la vôtre.
Les mots qu’Orwett prononçait avaient peu d’importance,
sa voix m’enveloppait, me pénétrait, et j’avais l’impression que ma poitrine, mon
ventre en étaient irradiés.
J’avais envie de rire, et c’était une sorte
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