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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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bataille, mais elle brûlait de plaisir au lieu que ce fût de haine.
    – Un de moins, c’est toujours ça. Restent Chandos et Bagerant.
    La foule grondait. Certains manants se répandaient en invectives. Le mécontentement du prince d’Aquitaine devait être en proportion de son énormité. Quoi ! Gournay, un de ses hommes liges, avait osé épargner cet otage qu’il détestait, augmentant ainsi ses espérances de liberté ?
    – Ce baron est un preux, dit Tristan tout en caressant l’épaule de Malaquin qui s’étonnait peut-être de cette course avortée.
    Le renoncement de Gournay dilata son courage. Tout en écoutant les propos en anglais d’Aylward et de Shirton, il se merveilla de se dire qu’à défaut d’amitié, la fraternité d’armes pouvait exister entre un autre Goddon que Calveley et lui-même. Il trouva tout à coup la lice plus belle, émouvante, bien que ceux qui peuplaient son pourtour fussent franchement ses ennemis : les huées n’étaient point concentrées sur Gournay, invisible, mais sur lui, victorieux de Grailly, Loring et Guichard d’Angle. Il pouvait se délecter de cette aversion, la trouver belle et voluptueuse. Comme Tancrède…
    – Chandos est sans armure, annonça Shirton. Son écuyer le suit. Il porte sa bannière.
    – Ils sont à pied, dit Aylward.
    C’était une double singularité.
    – Il est borgne, messire Castelreng, dit Shirton. Il va renoncer par crainte d’être aveuglé.
    L’archer souhaitait qu’il en fût ainsi. Il fut comblé.
    L’écuyer qui tenait la bannière de Chandos d’argent à une pile de gueules – informa tout d’abord le maréchal de lice, les juges, puis, à haute voix, le public que «  messire Chandos se réservait pour le pas d’armes  ». Il y eut un moment de stupéfaction. Des mains, des poings se tendirent en direction de l’Anglais : son renoncement inattendu privait l’assistance d’une revanche. C’était comme un défi au droit des gens, une offense commise envers des amis, et c’était aussi, carrément, un outrage fait au prince que Gournay avait offensé en refusant de coucher le bois face au Français.
    Tristan imagina la figure convulsée du gros valétudinaire. Eh bien, si c’était le seul remède dont il disposait pour sa blessure, celui-ci n’était pas sans efficacité. Cependant, il respirait mal. Un sentiment violent l’étouffait qui sans doute était de l’impatience. Mouillées par sa sueur, des lueurs dansaient, brumeuses, devant ses yeux. Que pensait Tancrède la seule, certainement, qui fût pour lui ? Il évoqua l’éclat de ses prunelles, la pâleur des lèvres entre-closes dont la fraîcheur eût apaisé la fièvre de son front ; la douceur de ses joues que l’émoi rosissait. De quels propos acides Jeanne de Kent, Odile, Ethelinde et Blanche de Passac allaient-elles l’accabler ? Car nul doute : elle était son alliée, sa défenderesse, même si elle s’abstenait de l’encourager.
    – Holà ! fit Paindorge. Voyez qui vient vers nous.
    C’était Naudon de Bagerant, tête nue, monté sur un cheval sans houssement à la robe aussi noire que le cœur de son propriétaire.
    –  Castelreng !
    Il était vêtu d’une coite à plaques 131 par-dessus laquelle flottait un ancien tabard dont les pans écartés laissaient voir des jambières de mailles. Le bassinet coincé entre le creux du coude et la hanche était sans ornement : ni lambrequin ni plumes. Ses mains serrées sur les rênes piquetées d’argent étaient protégées par des gantelets à gadelinges : la partie saillante du point était hérissée d’une suite de pointes de façon que, fermé, il fît office de masse d’armes. De hauts rebras 132 en entonnoir protégeaient ses poignets presque jusqu’aux coudes.
    – C’est à nous, Castelreng et je vais t’énaser 133  ! Le los 134 sera pour moi !
    Tristan sourit : il s’attendait à une provocation de cette espèce.
    – Je ne suis point estomaquié, Naudon, que tu viennes te jacter 135 ainsi. C’est dans tes façons. Quand je vois un malandrin de ton espèce – qui a occis, violé, tourmenté moult innocents et innocentes – oui, quand je vois un renié 136 comme toi parmi les chevaliers d’Angleterre, je me dis qu’ils ont de la merde dans les yeux et que Dieu, par moments, doit avoir la berlue !
    – Qui es-tu, toi, Castelreng ?
    Tristan haussa les épaules et se fit mal. Il était de ceux qu’on ne rencontrait nulle part ailleurs

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