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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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aussi. Il anhélait bruyamment. Il courbait la nuque : il était inutile que l’on vît son teint pâle et ses yeux ébahis, angoissés peut-être, dans un visage exsangue.
    Tristan, sa visière déclose, croisa, muet, cet insolent brisé dans sa fureur et sa présomption. Comme il se retournait pour jouir de sa victoire et se repaître de la vision d’un homme accablé de vergogne, il vit Bagerant seul, appuyé à la lice de la barrière, et qui lui montrait son poing.
    Ce geste de fureur provoqua l’ire de la foule : elle hurla, mais, contrairement à ce que le vainqueur croyait, cette colère s’adressait au vaincu que deux écuyers s’apprêtaient à soutenir pour l’entraîner vers son camp.
    « Il a voulu m’occire. Il s’en repentira ! » Seul au milieu du champ, Tristan se vit acclamé sans la moindre réticence, et c’était aux dames qu’il devait cette ovation. La plupart debout, peut-être à l’instigation de Tancrède, elles battaient des mains. Jeanne de Kent aussi exprimait son plaisir. Et la joie des gentil-fames contagionnait comme une pandémie les bourgeoises et les manantes.
    « Le prince ne bouge point, lui. Son échafaud ressemble au portail d’une église : tous immobiles ! »
    Oui, c’était bien pour lui le dos de la victoire. Heureux, indécis, le cœur gros et des gouttes entre ses paupières clignées, il pouvait se repaître du plaisir d’une multitude longtemps hostile, de sa félicité qui s’épanchait en hurlades serrées vers sa personne, en mouvements d’incantation, en applaudissements dont la fréquence redoubla lorsqu’il eut fait un geste de reconnaissance. Il avait joué d’un dernier galop sur les nerfs d’une foule qui peut-être, dans sa majorité, voulait voir d’autres hommes que les Goddons vendanger ses vignes et moissonner ses blés. Elle était accourue avide de sang frais et peut-être de larmes ; il lui avait offert un festin d’émotions, des entremets d’extase et l’élixir de l’espérance.
    Il revint lentement vers ses compères, tapotant l’encolure de Malaquin qu’il arrêtait parfois pour un nouveau salut. Longtemps, il sentit le poids des regards appuyés sur lui plus fréquemment que sur les autres. Toutes les expressions d’admiration ou de ferveur concentrées sur sa personne, il eût aimé les voir de près afin d’y puiser une forcennerie nouvelle.
    « Elles m’aiment enfin ! »
    Quel séducteur eût pu recevoir des œillades plus brûlantes que celles des nobles dames toujours debout, ravies et attentives ? Il n’incarnait plus pour elles tout d’abord, pour leurs voisins ensuite, ni la France ni la vengeance, mais la Chevalerie honnête et triomphante.
    Paindorge saisit les rênes de Malaquin.
    – Bagerant va vous haïr, maintenant.
    – Il a de l’attayne (382) pour moi depuis Brignais. J’ai dû te dire que j’avais occis son écuyer. Héliot était un forfante de son espèce. Tel chevalier, tel serviteur.
    – Je vous sais bon gré, messire, de penser que je vous ressemble ! Il vous faut soigner : vous ne pouvez batailler en cet état au pas d’armes.
    Tristan mit pied à terre sans aucune aide. Il abandonna Malaquin aux soins d’Aylward et de Shirton et du bras dextre saisit Paindorge par l’épaule :
    – Nous allons traverser une épreuve féroce.
    – J’y suis préparé. Je ferai de mon mieux. Regardez…
    Devant leurs pavillons, trois hommes éprouvés, l’un accroupetonné, les autres debout, leur armure à leurs pieds, disjointe comme leur orgueil, observaient ce Français qui les avait humiliés : Guichard d’Angle, Jean de Grailly et Bagerant. La foule n’avait rien dit, rien fait pour eux. La stupéfaction, la consternation, l’aversion inassouvie corrompait leur orgueil comme un mal fomenté par une épidémie. Assise, la gent des échafauds demeurait immobile. Elle avait cru en eux. Plutôt que de leur manifester quelques égards, elle préférait les ignorer. Sous les clartés de cet après-midi proche de l’automne, leurs plates éparses sur l’herbe exhalaient des étincelles que du rouge poissait çà et là.
    – Je vais dégager votre bras…
    – Oui… dit Tristan sans appréhender un redoublement de souffrance, mais avant ôte-moi ce bassinet.
    Paindorge obéit en hâte et reprit, à propos du bras.
    –  Si la navrure est profonde, Jack ou Aylward ira quérir un mire.
    – Soit… J’avoue que j’ai mal… J’ai soif…
    Tristan se sentait d’une

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