Le pays des grottes sacrées
ne connaissait pas, apporta un liquide
rougeâtre, bouillant : des baies de sorbier, séchées l’automne précédent,
bouillies pour obtenir un produit concentré, lui aussi tamisé. Ayla n’ignorait
pas que le jus de sorbier était acide et avait des propriétés curatives.
La Première prit un bol contenant
du suif pur, mou et blanc, en partie figé, obtenu en plongeant de la graisse
d’aurochs dans de l’eau bouillante, en ajouta un peu dans les cendres
poudreuses avant d’y adjoindre du jus de sorbier rouge encore fumant. Elle
mélangea le tout avec une petite spatule en bois sculpté, ajouta encore un peu
de graisse et de liquide jusqu’à obtenir ce qu’elle souhaitait, puis fit face à
la jeune femme et leva le couteau en silex affûté.
— La marque que tu vas
recevoir ne pourra être effacée. Elle proclamera à tous que tu reconnais et
acceptes le rôle de Zelandoni. Es-tu prête à accepter cette
responsabilité ?
Ayla prit une profonde
inspiration et regarda s’approcher la femme qui tenait le couteau, sachant ce
qui allait suivre. Elle sentit la peur lui nouer le ventre, déglutit et ferma
les yeux. Elle savait qu’elle allait avoir mal, mais ce n’était pas ce qu’elle
redoutait. Une fois que ce serait fait, il ne serait plus question de revenir
en arrière. C’était pour elle la dernière possibilité de changer d’avis.
Et soudain elle se revit cachée
dans une grotte peu profonde, essayant de se dissimuler du mieux qu’elle
pouvait dans la paroi de pierre contre laquelle elle était appuyée. Elle revit
les griffes courbes et acérées de l’énorme patte d’un lion des cavernes
s’approchant d’elle, et s’entendit pousser un cri quand quatre estafilades
parallèles avaient entaillé sa cuisse gauche. Se tortillant pour y échapper,
elle avait trouvé un espace infime sur le côté et ramené ses jambes sous elle,
le plus loin possible des griffes.
Son souvenir d’avoir été choisie
et marquée par son totem du Lion des Cavernes n’avait jamais été aussi vif,
aussi intense. Instinctivement, elle tendit la main vers sa cuisse gauche pour
sentir la texture différente de sa peau là où demeuraient les quatre cicatrices
parallèles. Elles avaient été reconnues comme les marques de totem du Clan
lorsqu’elle avait été acceptée dans le clan de Brun même si,
traditionnellement, le totem du Lion des Cavernes choisissait un mâle, non une
femelle.
Combien de marques avaient été
gravées dans son corps depuis sa naissance ? Outre les quatre marques de
l’esprit de son totem protecteur, Mog-ur lui avait pratiqué une petite incision
à la base de la gorge pour en tirer un peu de sang lorsqu’elle était devenue la
Femme Qui Chasse. On lui avait alors donné le talisman de chasse de son clan,
un objet ovale en ivoire de mammouth, taché de rouge, qui prouvait que, en
dépit du fait qu’elle fût une femme, elle était acceptée dans les rangs des
chasseurs du Clan, même si elle ne pouvait se servir que d’une fronde.
Elle ne portait plus le talisman
sur elle, pas plus que l’amulette avec ses autres signes, même si, dans
l’instant, elle aurait souhaité les avoir avec elle. Tous deux étaient cachés
derrière la figurine sculptée en forme de femme dans la niche qu’elle avait
creusée dans la paroi calcaire de son abri de la Neuvième Caverne. Mais les
cicatrices étaient, elles, bel et bien présentes.
Ayla toucha les petites marques,
puis celle qu’elle avait au bras : c’était Talut qui l’avait pratiquée,
avant d’entailler à l’aide du couteau encore sanglant une plaque en ivoire qui
faisait partie d’un extraordinaire collier d’ambre, de canines et de griffes de
lion des cavernes qu’il portait au cou, pour montrer qu’elle était acceptée
dans le Camp du Lion et adoptée par les Mamutoï.
Jamais elle n’avait réclamé quoi
que ce soit, elle avait toujours été choisie, et pour chaque acceptation elle
portait une marque distinctive, une cicatrice qui plus jamais ne disparaîtrait.
C’était le sacrifice qu’elle devait consentir. Et voilà qu’elle se trouvait une
fois de plus choisie. Elle pouvait toujours décliner, mais si elle refusait
maintenant, ce serait pour la vie. Elle se prit soudain à penser que les
cicatrices lui rappelleraient toujours que le fait d’être choisie entraînait
des conséquences, qu’avec l’acceptation venaient les responsabilités.
Elle regarda la doniate droit
dans les
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