Le peuple du vent
fermé ?
— Ouvert.
— La bassine ?
— Pleine de linges souillés.
— Une odeur ?
— Acide. Qui se rajoute à celle, plus fade, du sang.
— La couleur de la vomissure ?
— Je... Vert-jaune.
— Des objets dans la pièce ?
Tancrède essaya, ainsi que son maître le lui avait appris, de visualiser l’image de la chambre.
— Un coffre ouvert, des robes et une chemise jetés sur les bords. Un brasero éteint, du feuillage desséché, une bassine pour la toilette dressée dans un angle, un panier avec des linges et du savon...
— C’est tout ?
Le jeune homme se concentra, faisant à nouveau en pensée le tour de la pièce.
— Non. Un mantel de fourrure. Le même qu’elle portait à la chapelle, en tas sur le sol. Cette fois, je crois que c’est tout.
— Vous avez vu beaucoup plus que vous ne croyiez, comme à chaque fois.
Comme son maître n’ajoutait rien, le jeune homme reprit :
— Quelle était la maladie de cette femme ? Elle paraît avoir souffert mille morts avant de renoncer à se battre.
Mais l’Oriental dessinait dans la cire de sa tablette et il se tut. Quelques instants plus tard, Hugues releva la tête.
— Avez-vous repris votre lecture du De rerum naturis de Raban Maur ?
— Euh... Non, avoua le jeune homme.
— Qu’avez-vous fait alors pendant toute cette matinée ?
Tancrède savait que depuis leur arrivée à Pirou, il n’était plus aussi assidu à ses études. Mais était-ce le fait qu’il sentait en lui tant de forces et de désirs contraires ? L’attente et la solitude lui étaient de plus en plus insupportables. Il rêvait de batailles qui le révéleraient à lui-même, d’exploits, de conquêtes... L’étude et l’observation ne lui suffisaient plus.
— J’ai chevauché avec damoiselle Sigrid... déclara-t-il. Et sa soeur. Je suis allé à la chapelle au péril des flots adossée aux rochers de Pirou.
L’Oriental ne fit aucun commentaire, mais se leva et déclara :
— Allons, allons, je sens bien que je néglige votre entraînement et que votre discipline s’en ressent. Venez, allons tirer le fer avec maître Jehan. L’exercice nous fera du bien à tous deux. Et il nous fera oublier le son lugubre du glas.
Le jeune homme prit soudain conscience que la cloche continuait de sonner, éveillant de sinistres échos dans les couloirs et les escaliers. Il décrocha les sabres suspendus au mur et tendit l’une des lames courbes à son maître.
— Vous ne m’avez pas répondu pour le mal qui a tué la dame de l’Épine.
— Sans doute parce que je n’avais pas la réponse... Mais je la trouverai.
Et le jeune homme sentit chez l’Oriental cette excitation si particulière qui le prenait quand la nature ou l’humain résistaient à son étude.
15
Le sol ruisselait d’une eau verdâtre. Des traînées de salpêtre souillaient les parois et la voûte des souterrains. Dans la salle fermée par une lourde porte, un chandelier éclairait un sarcophage sur lequel était sculpté un gisant. La flamme vacillante éclairait la silhouette d’un chevalier revêtu d’une cotte de mailles et d’un bliaud. Il avait le corps tordu dans un mouvement de défense et tentait en vain de dégainer son épée...
À genoux dans la boue, quelqu’un priait à voix haute. L’homme se redressa et ses yeux se posèrent sur la statue.
— La mort me ramène à chaque fois vers toi, Osvald... Cette fois, c’est ma soeur. Ta tante...
La voix se brisa.
Un long moment passa, puis Serlon reprit :
— Et Aubré que mon père a chassé et à qui j’ai interdit de revenir. Aubré sera bientôt ici. Que dois-je faire ?
Le silence, l’eau qui goutte du plafond.
— J’avais tant de projets pour toi ! Il faut que tu m’aides, Osvald, que tu me donnes un signe ! Je me sens si seul sans toi ! Et puis, je crois qu’on en veut à ma vie. L’autre jour, mon cheval rendu fou de douleur, ce moellon qui a failli m’écraser... J’ai l’impression que quelque chose rôde autour de moi qui veut ma fin. Je n’ai plus confiance en personne...
Puis, plus fort :
— Non, je ne suis pas fou.
Un silence.
— J’ai discuté avec l’Oriental. Je suis sûr de moi maintenant, il me faut un héritier. Un fils. Cela détournera le malheur.
Comme s’il avait entendu une réponse, le sire de Pirou protesta :
— Jamais je ne réussirai à l’aimer comme je t’aimais, toi. Mais sans doute est-ce pour cela que Dieu m’a puni. Je
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