Le Peuple et le Roi
frères d’armes amoncelés derrière un tombereau, ils faisaient sauter la
cervelle de mes concitoyens à bout portant. »
Il y a déjà une centaine de morts.
Les fédérés marseillais et brestois contre-attaquent, refoulent
les Suisses, dont certains se regroupent près de l’Assemblée.
« Les portes sont forcées, crie un officier de la garde
nationale. Il y a des citoyens qui sont près d’être égorgés. À quoi sert ce
sang versé ? »
Louis écrit au colonel suisse :
« Le roi ordonne aux Suisses de poser à l’instant leurs
armes et de se retirer dans leurs casernes. »
Tous ne peuvent être prévenus. Ils se battront jusqu’à
épuisement de leurs munitions. Et ceux-là comme ceux qui cessent le feu sont
égorgés.
Point de quartier.
De la fenêtre d’un immeuble du Carrousel, Napoléon Bonaparte
a assisté à l’assaut. Puis il parcourt le champ de bataille, où les corps s’entassent.
On les brûle par monceaux.
« On tue les blessés, raconte-t-il. On tue les deux
chirurgiens suisses qui les pansaient. J’ai vu des femmes bien mises se porter
aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses. Elles mutilaient les
soldats morts puis brandissaient ces sexes sanglants. Vile canaille ! »
Et « coglione » de Louis XVI.
« Si le Roi se fût montré à cheval, la victoire lui fût
restée. »
Pillage des Tuileries, saccage. Vols, et on tue les voleurs
à coups de sabre et de pique, dans les rues et places proches du château.
« Quelle atroce barbarie ! » s’indigne le
libraire patriote Ruault. Il a vu passer au fil de l’épée soixante Suisses qui
s’étaient rendus et qu’on avait conduits à l’Hôtel de Ville.
« Et depuis quand égorge-t-on de sang-froid, en Europe,
des prisonniers de guerre ? » interroge-t-il.
« Je fus forcé de voir le massacre dans la petite cour
intérieure de l’Hôtel de Ville aux pieds mêmes de l’effigie de Louis XVI.
« On les dépouillait nus, on les perçait puis on les
tirait par les pieds, et on chargeait leurs corps morts dans des tombereaux… Mais,
ô comble de l’horreur ! J’ai vu des cannibales qui chargeaient ces
cadavres les mutiler dans leurs parties secrètes et leur donner en ricanant des
petits soufflets sur les joues et sur les fesses.
« Il faut dire tout ce que l’on a vu et tout ce que l’on
sait de cette abominable journée. »
SIXIÈME PARTIE
11
août 1792-30 septembre 1792
« Libre sous les
poignards »
« Donnons dans la personne des Bourbons et de
leurs complices un exemple éclatant qui fasse pâlir les autres rois : qu’ils
aient toujours devant eux et présent à leur pensée le fer de la guillotine
tombant sur la tête ignoble de Louis XVI, sur le chef altier et insolent de sa
complice… »
Article dans Les Révolutions
de Paris,
numéro du 4 au 11 août 1792
« De ce lieu et de ce jour date une nouvelle
époque de l’histoire du monde. »
Gœthe ,
présent à Valmy le 20
septembre 1792
31
Combien de morts ?
Maximilien Robespierre s’interroge. Il n’a pas participé aux
combats. Il est resté enfermé chez les Duplay, rue Saint-Honoré, à écouter les
feux de salve qui se sont prolongés dans l’après-midi de ce vendredi
10 août.
Maintenant que la nuit est tombée, il se rend à la section
des Piques, place Vendôme.
Autour de la statue de Louis XIV, une foule s’affaire, et, à
l’aide de crocs, d’épieux, de lourds maillets, de barres de fer, on essaie de
desceller la statue, et quand le Roi-Soleil commence à osciller on crie : « Plus
de roi, haine aux tyrans. »
On commence à briser la statue, et d’autres sans-culottes, des
jeunes gens, des femmes martèlent, sur les façades, le mot roi, les
fleurs de lys.
Robespierre s’arrête, questionne. On le reconnaît, on l’acclame.
On lui dit que le peuple renverse les statues, celles de Louis XV et de Louis
XIII, d’Henri IV.
On réclame la déchéance de Louis Capet, son procès. On brûle
les sièges des journaux monarchistes. On traque les journalistes royalistes. On
arrête des « suspects », soupçonnés à leur mine, à leurs vêtements, d’être
des aristocrates.
On hurle qu’il faut tuer les Suisses qui se sont réfugiés, non
loin de là, au couvent des Feuillants, et d’autres au Palais-Bourbon.
Combien de morts déjà ?
Au moins un millier, dont plus de six cents défenseurs du
château, Suisses et aristocrates venus défendre le roi.
Au
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