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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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quand
elles se retrouveraient nez à nez…
    À l’entracte, je suis sorti fumer une cigarette sur le
trottoir avec Goldfeder. Nous nous étions liés d’amitié, nous produisant en duo
depuis un an déjà. À l’époque, ses chances de survie semblaient bien meilleures
que les miennes et pourtant il a été le premier de nous deux à mourir. C’était
un excellent pianiste, ainsi qu’un avocat réputé. Il avait suivi parallèlement
et avec le même succès les cours du conservatoire de musique et ceux de la
faculté de droit, mais sa très grande exigence envers lui-même l’ayant
convaincu qu’il ne parviendrait jamais à la stature d’interprète de premier
plan il s’était rabattu sur la carrière juridique et seuls les aléas de la
guerre l’avaient conduit à se remettre au clavier.
    Son intelligence, son charme et son élégance innée avaient
fait de lui un des jeunes hommes les plus prisés de la capitale au temps où la
paix régnait encore. Ensuite, il a réussi à s’évader du ghetto et à passer deux
années caché chez l’écrivain Gabriel Karski. Et puis il a été abattu par les
Allemands dans une petite ville proche de Varsovie en ruine, une semaine
seulement avant l’entrée de l’armée Rouge en Pologne.
    Donc nous fumions en bavardant, sentant notre fatigue se
dissiper à chaque bouffée de cigarette. La journée avait été magnifique. Le
soleil, qui venait de disparaître derrière les bâtiments, peignait encore d’écarlate
les toits et les fenêtres des étages supérieurs. Les hirondelles filaient dans
le ciel dont le bleu profond était en train de pâlir. Même les passants, peu
nombreux à cette heure, paraissaient moins sales et abattus qu’à l’accoutumée
sous cette lumière traversée de pourpre, de reflets azuréens et d’or mat.
    En apercevant Roman Kramsztyk approcher du café, nous avons
été tous deux remplis d’aise. Il fallait absolument qu’il assiste à la deuxième
partie de notre concert. De plus, il m’avait promis d’exécuter mon portrait et
je voulais me mettre d’accord avec lui à ce propos.
    Nous n’avons pas pu le persuader d’entrer, cependant. Il
paraissait hagard, hanté par de sombres pensées. Il venait juste d’apprendre d’une
source très fiable que l’évacuation du ghetto était désormais imminente. Les unités
d’extermination nazies se regroupaient déjà de l’autre côté du mur, prêtes à
entrer en action.

8

Une fourmilière affolée
    À cette époque, nous projetions Goldfeder et moi d’organiser
un concert en matinée qui marquerait le premier anniversaire de la formation de
notre duo. Il était prévu pour le samedi 25 juillet 1942, dans les jardins du
Sztuka. Pleins d’optimisme et entièrement accaparés par ce projet que nous nous
étions donné tant de mal à préparer, nous refusions tout bonnement l’idée qu’il
puisse ne pas se tenir. Alors que si peu de temps nous en séparait, nous avons
préféré croire que ces rumeurs allaient se révéler une nouvelle fois sans aucun
fondement. Le 19 juillet, un dimanche, j’ai joué encore une fois en plein air, dans
le patio d’un café de la rue Nowolipki, sans me douter un seul instant que ce
serait mon dernier concert de l’ère du ghetto. Il y avait foule, certes, mais l’humeur
générale était plutôtsombre.
    Ensuite, je suis passé au Sztuka. Il était tard, les
derniers clients étaient partis et il ne restait que le personnel qui s’affairait
aux ultimes tâches de la journée. Je me suis assis un moment avec le directeur.
Soucieux, abattu, il distribuait ses ordres sans conviction, comme pour la
forme.
    « Vous commencez déjà à préparer notre concert de
samedi prochain ? » lui ai-je demandé.
    Il ne m’aurait pas dévisagé avec plus de stupéfaction si j’avais
été en train de délirer devant lui. Puis son expression est passée à une ironie
compatissante : de toute évidence, avait-il conclu, j’ignorais les
dernières péripéties qui venaient de faire basculer le sort du ghetto.
    « Parce que… parce que vous croyez que nous serons
encore de ce monde, samedi ? m’a-t-il interrogé en se penchant vers moi
par-dessus la table.
    — Mais oui, bien sûr ! »
    Et là, comme si cette simple réponse venait d’ouvrir des
perspectives inespérées et que cette promesse de salut ne dépendait que de moi,
il m’a saisi la main et sa voix s’est soudain animée :
    « Eh bien, dans ce cas, si nous sommes toujours en

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