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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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vie,
vous pourrez commander le dîner que vous voudrez, samedi ! Offert par la
maison ! Et aussi… Il a eu une brève hésitation avant de poursuivre, décidé
à se montrer à la hauteur de la situation : Et aussi tout ce qu’il y a de
mieux dans nos caves. Là encore, c’est moi qui régale, et à volonté ! »
    D’après les rumeurs, l’opération de « réinstallation »
des Juifs devait débuter cette nuit même. En constatant lundi matin qu’il ne s’était
rien passé, les gens ont repris confiance : une fois encore, les bruits
qui avaient circulé n’étaient certainement que des affabulations… Vers le soir,
pourtant, un vent de panique a soufflé de nouveau.
    Il n’y avait plus aucun doute, désormais : l’évacuation
forcée était imminente, et concernerait en premier lieu le Petit Ghetto. Des
groupes chargés de ballots et de grosses malles, entraînant leurs enfants
derrière eux, sont apparus un peu partout. Ils se hâtaient vers le pont que les
Allemands avaient édifié au-dessus de la rue Chlodna afin de nous priver du
dernier contact avec les quartiers aryens. Leur intention était de quitter la
zone menacée avant le couvre-feu et de se réfugier dans le Grand Ghetto au plus
vite. Conformément au fatalisme bien ancré dans la famille, nous avons choisi
pour notre part de ne pas bouger. Plus tard, des voisins ont appris que le
commandement de la police polonaise avait mis toutes ses forces en alerte :
il se tramait donc quelque chose de vraiment grave. Incapable de trouver le
sommeil avant quatre heures du matin, je suis resté aux aguets sur une chaise
près d’une fenêtre ouverte. Cependant, cette nuit-là s’est également écoulée
dans le calme.
    Dans la matinée de mardi, je me suis rendu avec Goldfeder au
service administratif du Conseil juif. Nous gardions en effet encore l’espoir d’une
issue possible et nous voulions apprendre la version officielle du Conseil
quant à ce que les Allemands prévoyaient pour le ghetto dans les prochains
jours. Nous étions presque arrivés à destination lorsqu’une voiture décapotée
nous a dépassés. À l’intérieur, livide, tête nue, nous avons reconnu le colonel
Kon, le chef du département de la Santé du district. Il était entouré de gardes.
Nombre d’autres fonctionnaires juifs étaient arrêtés au même moment, tandis qu’une
nouvelle rafle était déclenchée dans les rues.
    Le même jour, dans l’après-midi, tout Varsovie, d’un côté du
mur comme de l’autre, s’est retrouvé en état de choc. Le Dr Raszeja, un
chirurgien polonais qui excellait dans sa spécialité et enseignait à la faculté
de médecine de Poznan, avait été appelé à réaliser une intervention
particulièrement délicate dans le ghetto. Pour ce faire, il avait reçu un
laissez-passer émis par le quartier général de la police allemande à Varsovie. Alors
que l’opération chirurgicale venait pourtant de commencer, les SS avaient
investi l’appartement où elle avait lieu. Ils avaient abattu le patient anesthésié,
puis le chirurgien et toutes les autres personnes présentes.
    Le mercredi, je suis sorti vers dix heures du matin. Dans
les rues, la tension s’était quelque peu dissipée depuis la veille. Le bruit
courait que les fonctionnaires du Conseil avaient été relâchés : d’un avis
assez général, c’était la preuve que les Allemands n’avaient pas encore l’intention
de nous expulser, puisque dans ce cas ils veilleraient à liquider tout d’abord
les représentants juifs officiels. Nous tenions cela d’informations qui nous
étaient parvenues du reste du pays, où des communautés juives bien moins
nombreuses avaient déjà été déplacées depuis longtemps.
    Il était onze heures quand je suis parvenu au pont de la rue
Chlodna. Je marchais tellement perdu dans mes pensées que je n’ai pas tout de
suite remarqué les gens arrêtés sur la passerelle. Ils pointaient tous du doigt
dans une direction, avec de grands gestes, puis se sont dispersés rapidement. Je
m’apprêtais à gravir les marches qui conduisaient à l’arche de bois quand un
ami que j’avais perdu de vue ces derniers mois m’a retenu par le bras.
    « Mais qu’est-ce que tu fais ici ? »
    Il paraissait très agité. Pendant qu’il parlait, sa lèvre
inférieure frémissait de manière comique, comme le museau d’un lapin.
    « Retourne chez toi immédiatement !
    — Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?
    — Ils entrent en action

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